L'histoire :
Elle s’appelle Glodie. Elle est magnifique. Il faut le voir pour le croire et même quand on la voit, on a du mal à réaliser l’étendue de sa beauté. Pas qu’une beauté physique, non. Elle est aussi merveilleuse, une fille bien et à l’âme pure : un ange sur terre. Et quand on voit l’état de la terre, c’est encore plus admirable. Marv est tellement ébloui qu’il n’a qu’une peur : c’est qu’elle réalise avec quel monstre elle veut coucher et qu’elle s’en aille aussi vite qu’elle est apparue. Il n’a donc pas le choix et il faut profiter de ce moment unique avant qu’elle se ravise. L’échange des corps, la sueur et le plaisir, les cris et la passion : ça valait le coup de vivre toute une existence pourrie et crade pour avoir un moment pareil. Atteindre le nirvana par l’amour et le désir, c’est une sensation sublime, quasi divine, mais elle ne dure pas assez longtemps. Et le retour à la réalité peut être cruelle. Pas seulement parce que leurs ébats sont finis et qu’elle partira sûrement quand elle aura décuvé en réalisant avec qui elle a eu ce lien fort. Si seulement ça ne pouvait être que ça. Mais quand Marv se réveille, il ressent une angoisse sourde, un goût rance qu’il connaît bien. Généralement, c’est l’odeur caractéristique des emmerdes. Marv se retourne et il réalise avec horreur que la divine créature allongée sur le lit est morte ! Pas de sang ni de traces de coups. Quelqu’un l’a tuée proprement alors qu’il était juste à côté d’elle. Une douleur atroce lui vrille le coeur. Mais aussi une illumination. Il sait maintenant pourquoi on l’a placé dans ce monde immonde. Il est là pour une seule chose et il n’a plus que ça en tête : venger la mort de Glodie !
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Si Watchmen est un monument dans le monde des comics, Sin City en est assurément un autre. Les éditions Huginn & Muninn démontrent leur montée en puissance en reprenant les droits des œuvres de Frank Miller. Et on commence donc par du très lourd, de l’inoubliable : Sin City. Cette œuvre inclassable publiée en 1991 est certainement le projet le plus audacieux du génial Frank Miller. C’est même une révolution visuelle jamais vue auparavant et jamais égalée depuis. Le roman noir est quasi à prendre au pied de la lettre ici puisque le noir et blanc sublime de l’artiste amène le genre dans sa quintessence la plus pure. Bien au delà de n’importe quel coloriste, au-dessus même de n’importe quelle peinture, le noir et blanc façon Sin City vous hantera désormais tout le restant de votre vie, comme un cauchemar récurent. La dureté de l’encrage et le choix des ombres presque tentaculaires donnent parfois l’impression qu’on a tailladé les planches au couteau. Le blanc, qui apparaît de façon inversée comme une photo en négatif, est parfois tout aussi aveuglant et violent. A l’image de la trogne toujours plus monstrueuse et striée de Marv, le graphisme est impitoyable et d’une laideur envoûtante. Pourtant, certains passages sont de purs instants de poésie, notamment quand les femmes apparaissent dans leur pureté éclatante. Le dessin est finalement un résumé de l’état d’esprit de Marv et de sa vision de la vie (celle aussi de Miller?) : Glodie est un bref instant de paradis mais tout le reste est un dangereux cloaque et un enfer destructeur. Avec une telle grâce visuelle, on serait presque tenté de dire que le scénario importe peu. Il est plutôt classique dans le fond mais la voix off désabusée de Marv façon privé des années 30 renforce cette puissance et ce parfum si fort qui émanent de cette ville. A noter que la traduction française est inédite et effectuée par Henry Loevenbruck, grand auteur de polar. Sin City est apparu quand Frank Miller tournait le dos à Marvel : en guise de vengeance ou de défouloir, il a décidé de créer cette perle noire.
