L'histoire :
Il est parfaitement bien positionné pour qu’on ne le voit pas et bien calé pour qu’il puisse attendre longtemps sans bouger. Au-dessus à travers une immense vitre, ça donne un bel angle de vue. Les photos vont être croustillantes et Agamemnon sera satisfait. Peut être trop satisfait car le vieux pervers va se rincer l’œil avec ses clichés. Mais Dwight n’a pas le choix : il a besoin de ce sale boulot s’il veut un jour avoir son propre studio et à nouveau bosser pour le journal. Joey arrive et le gros dégueulasse semble inquiet. Il explique à la pute que sa femme soupçonne quelque chose. Dwight ne pourra pas dire le contraire, du haut de son perchoir… C’est peut être la dernière fois qu’il voit sa belle. Mais elle sait y faire pour faire tourner la tête des clients. Son corps est sculpté comme une déesse mais sa voix trahit l’arnaque. Trop aiguë, trop artificielle, trop hypocrite. Joey se laisse faire et sort les menottes, tout en transpirant comme un porc. La femme lui demande d’être sans pitié avec elle et de se venger de tous ceux qui lui font du mal. Ça ne dure pas longtemps. Mais assez pour que Dwight prenne de nombreuses photos. Et le pire, c’est qu’elles sont presque artistiques. Il compte s’arrêter là et laisser les deux âmes en peine à leur solitude. Pourtant, un événement inattendu se produit : alors que la professionnelle du sexe est encore attachée, Joey sort un flingue !
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
La réédition de Sin City continue chez Huginn & Muninn avec ce deuxième tome. On avait quitté le personnage bourru et violent de Marv. Voici le romantique torturé Dwight Mc Carthy. D’ailleurs, Frank Miller reprend quelques cases du premier opus en arrière plan comme pour mieux souligner la passation de pouvoir. A moins qu’il veuille montrer que tous les protagonistes quels qu’ils soient sont piégés et enfermés dans l’enfer de Sin City. Une ville où traînent les âmes en peine, les vautours en quête de chair fraîche ou les parias qui existent tant bien que mal. Miller se bonifie dans cet épisode et, allant de pair avec la personnalité plus riche et complexe du « héros », le récit est bien plus fin et subtil que le précédent. Évidemment, la violence brute, le sang qui gicle de partout et les blessures à fleur de peau sont légion mais l’histoire est aussi plus complexe, pleine de surprises et de coups de théâtre. Il faut dire que tout est lié à la vénéneuse Ava qui manipule les hommes comme l’intrigue trompe le lecteur. Et au fur et à mesure que l’on arrive devant une impasse de fureur et de vengeance, on est sans arrêt piégé par des retournements de situation puissants. Tranchant avec la violence et la mort, l’amour est le sujet ultime de ce comics et même s’il est tragique et que, finalement, chacun aime quelqu’un qui ne l’aime pas (Dwight et Ava, Marv et Nancy, Gail et Dwight), il reste un rêve inatteignable. Car l’on ne s’échappe pas du cloaque de Sin City. Pas plus qu’on ne sort du noir et blanc prodigieux de Frank Miller. Ses éclairages blancs en négatif sont autant de lumières qui aveuglent et les nombreuses ombres en forme de quadrillage sont comme des barreaux qui soulignent l’enfermement. Les corps noueux et difformes deviennent presque beaux tandis que les corps gracieux et immaculés deviennent laids et inquiétants. Pas de doute, ce tome deux est un chef d’œuvre à se damner…