L'histoire :
La fin du monde ? Elle a vraiment commencé ce matin du 14 mars 1997. Mais pas de la façon dont tout le monde se l’imagine avec des tempêtes gigantesques, des ouragans de feu ou des catastrophes monumentales. Tout a démarré à Lowell dans le Maine. Loretta enchaine les produits de cette supérette minable et elle s’ennuie presque aussi ferme que la lancinante sonnerie qui retentit à chaque passage. M. Stone ne se plaint encore que ses pauvres fruits se sont écrasés et elle ne peut s’empêcher de répondre avec une ironie cinglante. Au moins, grâce à ça, elle a la paix. Qu’est ce que veut ce type bizarre qui la regarde ? Soudain, il s’enfuit et emporte avec lui le panier sans payer. Mon dieu, la journée va être longue ! Loretta prend une pause cigarette pour se calmer. Mais la patronne vient la voir au bout de dix minutes. Elle a reçu un coup de fil pour elle de l’école de son fils. Joshua a encore fait le con ! Cette fois, il a été pris avec de la drogue sur lui. Le rendez-vous avec le directeur se passe mal, très mal. Cette espèce de ton hautain et moralisateur qu’il utilise pour lui parler agacé particulièrement Loretta et lui rappelle l’attitude détestable de ses clients. Elle ne peut s’empêcher de couper court et de renvoyer paître le directeur de l’école. Joshua est tout heureux de s’en tirer à bon compte. Ils récupèrent ensuite la petite Meg. Heureusement, de ce côté là, tout va bien à l’école. Tout va bien, c’est vite dit car la pauvre enfant souffre du bras et se plaint que ça la gratte beaucoup. Le début de la fin…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Panini sort de plus en plus de titres indépendants et se paie même le luxe d’un comics écrit par Jeff Lemire. L’auteur canadien propose cette fois un récit épais, à mi-chemin entre le récit fantastique et la fable écologique. Ceux qui connaissent Jeff Lemire ne seront pas « déracinés » mais pour les autres, vous serez sûrement ravis de rentrer dans une histoire parfaitement maîtrisée. Le scénariste du moment est sûrement l’un des meilleurs narrateurs actuels et ce nouveau récit génial ne fera que confirmer son talent. A partir d’une idée forte et originale, Lemire déploie une intrigue prenante et pleine d’émotions fortes. On pourrait presque trouver le concept absurde et ridicule et pourtant, la magie opère tout de suite car Lemire a l’art de transformer tout ce qu’il touche en petite pépite scénaristique. Il réalise ensuite ce qu’il sait faire de mieux : raconter un récit aux longs cours avec des jeux complexes sur la temporalité. L’auteur se lance presque un défi en multipliant les ellipses comme pour mieux faire des flash-backs ensuite, procédé qu’il maîtrise à la perfection. Ces incessants va-et-vient temporels ajoutent une intensité folle et un effet dramatique poignant. On le sait : Lemire maîtrise également de façon remarquable ses personnages. Ici, le portrait d’une famille intergénérationnelle est saisissant et jamais manichéen, rendant chaque personnage plus attachant encore. L’humanité qui déborde de chacune des pages se trouve également dans le dessin de Phil Hester. Son trait très longiligne à la limite de la caricature rappelle de façon amusante le style graphique de Lemire lui-même. Mais Hester joue habilement des décors et du cadrage pour magnifier cette histoire atypique. Le talent de Jeff Lemire ne cesse de pousser et il vous suffira de vous lover contre son ombre bienfaisante pour en apprécier toute sa sève.