L'histoire :
Peter se réveille au milieu de la nuit, un petit creux se signalant à son estomac. Alors qu'il vient de fouiller le frigo en quête de nourriture, sa femme Patti le surprend et le vilipende. Le vieil homme n'en a que faire, celle-ci sent la cigarette alors qu'elle n'est pas sensée fumer ! Peter part donc en direction de son atelier, endroit où des années durant il a réparé et confectionné des postes de radio. Alors qu'il se met à en réparer un, un grésillement se fait entendre et le vieil homme perçoit une voix, celle de Tommy son fils. À son écoute, Peter fait un malaise... Patrick est sur la route en direction de Royal City, sa mère l'a averti que son père a fait un malaise. Son trajet est perturbé par les appels de son éditeur à qui il doit rendre un livre depuis plusieurs mois et repousse sans cesse sa livraison. Alors qu'il approche de sa destination, le romancier aperçoit un gamin sur la route. C'est Tommy. Celui-ci se dirige vers le court d'eau situé sous le pont mais il n'y a personne... Tara essaie de vendre au directeur de la principale manufacture de la ville un projet immobilier qui risque de mettre tout le monde au chômage, y compris son propre mari... Richie est chez lui, passablement atteint d'une gueule de bois carabinée. À côté de lui, Tommy l'incite à aller plus loin dans ses excès... Patti est auprès de Peter à l’hôpital. Son mari est inconscient. Elle parle à Tommy et s'appuie sur lui pour tenir le coup... Chaque membre de la famille voit Tommy, mais celui-ci est mort, noyé dans la rivière...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
C'est au printemps 2010 que pour la première fois, les lecteurs français ont pu découvrir le talent du canadien Jeff Lemire avec les sorties d'Essex County et de The Nobody. Via un style graphique assez rough, il montrait des qualités narratives étonnantes et d'emblée remarquables. Depuis, il n'a eu de cesse de développer ses projets personnels en tant qu'auteur complet (Winter Road, Trillium, Sweet Tooth) mais aussi en tant que scénariste (Green Arrow, Extraordinary X-Men, Old Man Logan, Moon Knight, Bloodshot Reborn). Outre ses multiples séries en cours, il a trouvé le temps d'imaginer une nouvelle série intitulée Royal City. L'album s'ouvre sur une séquence assez banale dans laquelle un vieil homme se lève au milieu de la nuit pour manger un morceau. Surpris par son épouse, il se réfugie dans son atelier où il bidouille une radio et va entendre la voix de son fils Tommy, une écoute qui lui provoquera une crise cardiaque. Et il y a de quoi puisque l'on va très vite comprendre que son fils est mort il y a des années, noyé... Jeff Lemire va ensuite nous présenter les autres membres de cette famille, les Pike, et chacun vit avec sa propre vision de Tommy, éternel enfant ou type qui a raté sa vie, chacun voit en ce frère ou ce fils disparu celui qu'ils auraient aimé voir. Ce fantôme ou ce souvenir omniprésent insuffle évidemment un sentiment de nostalgie au récit mais aussi un petit aspect fantastique. La narration et le décorum proposé par l'auteur renvoie sur plus d'un point à EssexCounty. Les nombreuses histoires familiales, les secrets ou même les multiples traumatismes de chaque personnage sont amenés progressivement et à chaque fois avec une justesse évidente. Jeff Lemire sait rendre attachant, émouvant ou même antipathique ces héros. Que dire de Patrick ce romancier qui manque d'inspiration pour écrire son prochain ouvrage ? Comment comprendre Tara et ses envies de projet d'urbanisation qui va mettre son mari à la porte de son emploi ? Tous ont quelque chose à se reprocher et tous sont présents auprès de Peter, ce vieil homme dont on ne sait au final que bien peu de choses, pour l'instant. En choisissant une fois encore le cadre d'une ville souffrant de diverses crises, dont le chômage grimpant, il nous plonge dans un monde réaliste et crédible. La lecture de ce Royal City est palpitante, on tourne les pages avec une frénésie certaine et une fois la dernière découverte, on ne souhaite qu'une chose : lire la suite. Le dessin semi-réaliste, jeté et encré, rehaussé d’une colorisation directe en aquarelle continuera de plaire ou de déplaire aux lecteurs, mais ne laissera jamais indemne. Une fois habitué, nul doute que vos éventuelles réticences vous feront passées du côté des fans d'un style épuré mais bigrement explicite. Royal City se veut comme la tentative de Jeff Lemire de réaliser une série continue avec les sujets qu'il développe habituellement en roman graphique. Un pari osé pour un auteur sollicité de toute part et qui se révèle une franche réussite, cinglante et définitive. Il est fort, le bougre....