L'histoire :
Une terrible pandémie a ravagé la Terre et la quasi-intégralité de sa population, il y a maintenant une dizaine d'années. Des êtres hybrides, mi-humains mi-animaux, sont apparus. Gus a 9 ans et est l'un d'entre eux. Il vit depuis sa naissance dans une petite cabane cachée dans les bois avec son père, un homme normal. Celui-ci lui a appris à lire, à écrire et à ne surtout pas sortir de la forêt. Avec des bois et des oreilles plus grandes que celles d'un humain normal, Gus ne passerait pas inaperçu dans ce monde qui ne serait qu'enfer plus loin. Parfois, il trouve quelques sucreries aux abords des bois. Un jour, son père meurt. Gus enterre le corps de son papa à côté de celui de sa mère. Peu après, alors qu'il croise un cerf, l'orphelin se fait attraper par deux types qui veulent le conduire à la milice. Soudain, un homme, Tommy Jepperd, intervient et tue les deux agresseurs. L'individu est costaud mais sous ses attraits rustres et peu aimables, il prend sous son aile Gus et veut le conduire à la réserve, un lieu où les hybrides vivent en paix. Selon lui...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Quelques années auront suffi à Jeff Lemire pour devenir l'un des artistes canadiens les plus appréciés de la sphère comics. De ses débuts en tant qu'auteur complet à l'écriture de sagas ambitieuses pour des séries mainstream, la variété de ses travaux interpelle encore et toujours. Débutée en 2009 et conclue quatre années plus tard, la série Sweet Tooth est à ce jour la plus longue jamais écrite (et dessinée) par Jeff Lemire, puisqu'elle comptabilise 40 épisodes. Ce premier album en contient une douzaine et permet de prendre contact avec Gus, un petit garçon orné de bois et d'oreilles de cerf. Celui-ci a 9 ans et a toujours vécu isolé dans la forêt en compagnie d'un père qui a fait toute son éducation. Très vite, on apprend qu'il n'a pas le droit de sortir des bois et qu'à l'extérieur, c'est la fin du monde. On se dit alors que Jeff Lemire va nous ressortir une version personnelle du film Le village de M. Night Shyamalan mais il n'en est rien. Le canadien provoque très vite les événements qui vont pousser Gus à se confronter à ce monde désolé et effrayant. L'auteur l'associe à un humain costaud et mystérieux, Tommy Jepperd, qui prétend vouloir l'aider. Ses intentions sont nébuleuses et la destination où il veut conduire Gus trop belle. On pense parfois à La route de Cormac McCarthy ou au jeu vidéo The Last Of Us pour le road trip à travers un pays en ruines. Mais à nouveau, cela est trop réducteur. Jeff Lemire brasse les influences, dont l'évidente Vic & Blood de Richard Corben, pour créer un récit unique et poignant. Entre une Humanité qui n'en a plus que le nom et la naïveté touchante de Gus, l'artiste a probablement écrit l'une de ses plus belles histoires. Il parvient à glisser certaines de ses thématiques récurrentes comme la place de la religion dans la construction d’un individu ou même le sentiment d'abandon lié à la perte de proches, toujours avec une subtilité et une sincérité touchantes. Sa narration est un modèle du genre et ses personnages bénéficient d'une construction psychologique poussée et réaliste. Son graphisme si particulier, parfois un peu abrupt ou laissant place à certaines fêlures, convient si bien à Sweet Tooth qu'on n'imagine mal un autre dessinateur le mettre en images. Jeff Lemire n'oublie pas non plus de tester les limites du comics à travers quelques compositions de planches originales et bien vues. Et puis il y a certaines cases saisissantes par leur violence retenue et les traces indélébiles qu'elles laissent dans nos esprits. La colorisation sobre et intelligente de Jose Villarrubia enrichit un peu plus l'ensemble. Avec Sweet Tooth, le lectorat français peut enfin comprendre pourquoi Jeff Lemire figure parmi les grands de son art.