La dernière fois que nous avions rencontré le dessinateur Adi Granov, celui-ci sortait tout juste d'une expérience salvatrice au cinéma où il a notamment participé aux nombreux designs de l'armure d'Iron Man. Se concentrant uniquement sur ses travaux d'illustration ces dernières années, nous l'avons vu à l'œuvre sur bon nombre de personnages mais aussi sur les nouveaux comics Star Wars lancés par Marvel. Nous avons profiter de la venue de l'artiste à la Paris Comics Expo pour l'interroger sur ses dernières créations, ainsi que sur ses futurs projets.
interview Comics
Adi Granov
Réalisée en lien avec les albums Star Wars (revue Marvel) V1 – V 1, T2, Moon Knight (vol.7) T1
Bonjour Adi Granov, peux-tu te présenter et nous dire comment tu as commencé à travailler dans l'industrie des comics ?
Adi Granov : Bien sûr. Je m'appelle Adi Granov et, aujourd'hui, je travaille surtout pour Marvel. Je travaille d'ailleurs avec Marvel depuis près de onze ans maintenant, je crois. Auparavant, je travaillais dans les jeux vidéos. J'ai commencé par faire quelques concept-arts en dehors du monde des jeux vidéos, pour des jeux de rôle, notamment, avec Wizards of the Coast et, à partir de ce que j'ai fait pour eux, j'ai débuté dans les comics. J'ai commencé auprès d'un éditeur français, les Humanoïdes, puis auprès d'une compagnie nommée Dreamwave qui n'existe plus aujourd'hui. Mais les gens de Marvel ont vu ce que je faisait pour Dreamwave, ils m'ont envoyé une proposition par email et voilà !
Tu réalises aussi bien des couvertures que des pages intérieures. As-tu une approche différente selon ce sur quoi tu travailles ?
Adi Granov : J'approche tous mes projets de plus ou moins la même manière. Je pense tout d'abord à l'objectif posé, à ce qu'il faut faire. Si on parle d'une planche, je pense d'abord à la narration et d'anticiper comment l'illustration peut être adaptée au récit. Je m'efforce d'y penser dans des termes cinématiques en n'envisageant pas chaque case à la manière d'une couverture, comme un dessin indépendant, mais comme la composante d'une succession d'images, d'un même flot. Une couverture, c'est l'exact opposé. Une seule image doit transmettre tout un ensemble d'éléments concernant l'histoire, le personnage... Mais en ce qui concerne mon travail, j'essaie de réaliser une esquisse et de réfléchir à ce que produit cette image. Si je travaille sur une planche, alors j'en fait une esquisse générale et j'essaie de voir si tout s'enchaîne convenablement tandis que si c'est une couverture, alors je m'assure que l'esquisse "parle", qu'elle raconte ce que je souhaite qu'elle raconte. Après ça, c'est l'étape de peinture et ça, ça ne varie pas, que ce soit pour une planche, une couverture ou un projet cinématographique.
Tu as fait des pages intérieures sur Iron-Man : Extremis, pourquoi ne fais-tu pas plus de pages intérieures ?
Adi Granov : Parce que je peins, je fais tout aux pinceaux. ça prend énormément de temps et pour réaliser un seul numéro au format américain classique de 22 pages, il me faut presque trois mois ! Extremis, par exemple, m'a demandé un an et demi de travail ! ça n'est donc pas pratique du tout, que ce soit pour moi ou pour Marvel. Je sais qu'en France et dans la bande dessinée en général, ce n'est pas le même rythme. On est dans l'idée d'un album par an, c'est un rythme plus lent. Mais entre le rythme requis par les productions américaines et mon emploi du temps, ce n'est pas très faisable. Alors, de temps à autres, je réalise une histoire courte parce que j'aime le faire mais ce serait très difficile de tenter de refaire un projet d'envergure comme Extremis.
Récemment, Marvel s'est mis à publier directement des graphic novels. Penses-tu que Marvel te fera une proposition dans ce sens, un jour ?
Adi Granov : Non, je crois que tout le monde est content que je ne fasse que des couvertures. Les gens de Marvel sont satisfaits car... En fait ont est tous satisfaits pour la même raison. On trouve mes nouveaux dessins chaque mois, dans les rayons, tandis que si je réalisais des comics entiers, il se passerait des mois entre chaque nouvelle livraison. Je suis donc content de voir mon travail régulièrement publié et mis à la disposition du public et ils sont très contents, chez Marvel, parce que je fais vendre, mes couvertures, en tous cas. Je ne pense pas qu'ils seraient enclins, à moins que je n'en fasse expressément la demande, à me confier une série, ils préfèrent certainement que je continue à me limiter aux couvertures.
Comment décrirais-tu ton style ?
Adi Granov : Je dirais réaliste mais au-delà. Je m'efforce de ne pas tendre vers un réalisme photographique mais plutôt vers une représentation crédible de ce qui n'existe pas. Par exemple, si je dessine Iron Man, je veux qu'on ait l'impression qu'il est là mais c'est un personnage de fiction. Je ne sais pas comment l'expliquer. C'est basé sur l'idée du réalisme mais c'est stylisé de manière à le rendre plus emballant, plus intéressant.
Dernièrement, nous t'avons vu à l'œuvre sur des couvertures pour les nouvelles séries Star Wars. Est-ce qu'à l'instar d'Iron Man, tu imagines faire quelque chose pour Star Wars au cinéma ?
Adi Granov : Non, je ne crois pas. Surtout maintenant que je travaille principalement dans l'illustration avec pas seulement des couvertures mais aussi des posters pour Marvel ou encore des designs pour des jouets, ce genre de choses. Travailler sur des films, c'est quelque chose d'enthousiasmant, c'est énorme mais je préfère travailler sur des choses qui vont effectivement être vues du public. Quand tu travailles sur un film, ton travail passe par plusieurs étapes, il est transformé. Et une fois que c'est projeté sur l'écran, tu as peut-être effectivement été impliqué dans la réalisation du film mais ce que tu vois n'est pas ton travail. J'ai toujours aimé et je suis surtout intéressé par l'illustration, le style, l'aspect. Ce que j'essaie de dire c'est que travailler pour le cinéma revient, pour moi, à réaliser une couverture à partir de laquelle quelqu'un va créer des modèles 3D, que ces modèles 3D vont être matérialisés par une autre personne puis photographiés par encore une autre personne et que le résultat de tout ça devienne la couverture finale. Or, quand je travaille sur un projet, j'aime travailler sur ce qui va être le produit final, c'est ce qui m'intéresse.
Ton style joue beaucoup sur la profondeur, un peu comme celui de Richard Corben. Est-ce une de tes influences ?
Adi Granov : Oh oui, je suis un grand fan de Richard Corben. Ce genre de travail sur les profondeurs m'interpellais, quand j'étais enfant. C'est ce que j'évoquais, un peu plus tôt, le fait d'aller au-delà d'un certain réalisme, quand je vois ça, je fais "Wow ! C'est si réel, sans l'être". Corben parvenait à créer ce monde fantastique mais peint d'une manière si crédible... ça a eu une grande influence sur moi. Voilà pourquoi j'ai essayé d'avoir un effet semblable pendant toute ma vie.
Qu'as-tu appris de tes participations au cinéma ?
Adi Granov : Tous les films sur lesquels j'ai travaillé étaient différent. Sur le premier Iron Man, la pré-production était relativement modeste, vraiment. On étais peut-être trois à travailler sur le concept et le design et on travaillait directement avec le réalisateur. C'était très excitant, très intéressant et on avait l'impression de faire partie d'une sorte de nouvelle vague. Mais à mesure que les films ainsi que le studio ont pris de l'envergure, ça s'est mis à ressembler de plus en plus à n'importe quel autre travail de bureau où on s'adresse au manager. ça m'a appris que plus la production est grosse, le moins c'est amusant pour moi, en raison du nombre de gens impliqués. Mais donc la production où je me suis le plus amusé, ça a été le premier Iron Man parce que c'était nettement plus intimiste.
Quel est ton prochain challenge ?
Adi Granov : [pfou !] En ce moment, je suis aux taquets parce qu'il me reste une couverture à finir avant de pouvoir partir en vacances. [rires] Donc mon challenge se limite à finir cette couverture et puis, dans une douzaine de jours, à partir en vacances.
Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre artiste pour en comprendre le génie, qui irais-tu visiter ?
Adi Granov : C'est quelqu'un que j'ai pu rencontrer en vrai mais avec qui j'aurais aimé passer plus de temps. Mœbius. J'ai tellement aimé ce qu'il faisait, quand j'ai grandi, qu'il sera toujours mon illustrateur préféré. Et, sinon, Alphonse Mucha. Il a eu une telle influence sur les comics et sur le style des comics contemporains... Il a influencé tant d'artistes, y compris moi-même. Il a crée ce style, l'Art Nouveau, que l'on voit partout, aujourd'hui, mais je ne peux même pas concevoir combien ça a du paraître novateur à l'époque. Et si je devais aller encore plus loin que ça, je dirais quelqu'un comme Michel-Ange, en particulier pour ses sculptures. A mesure que je prends de l'âge, je comprends de plus en plus ce qu'il faisait comme par exemple sa statue de David. Suivant l'angle sous lequel tu regardes le visage de son David, tu peux y voir de la terreur, de la colère, etc. Et il a réussi ça avec une seule et unique sculpture, c'est époustouflant. Ce qui serait intéressant serait de voir s'il a volontairement obtenu ce résultat ou bien si c'est nous qui avons été chercher cet effet. C'est comme Mona Lisa, il y a eu tellement d'interprétations qu'il serait intéressant de savoir quelle était la réelle intention de l'artiste. Est-ce que De Vinci a obtenu ça volontairement ou bien était-ce un accident ? [rires]
Quand je vois tes illustrations, j'y vois une histoire. Comment arrives-tu à faire passer ça ?
Adi Granov : Avec Marvel, c'est difficile en raison des délais, ils préfèrent des illustrations simples, qui ne racontent rien. Parce qu'au moment de les commander, les histoires qui vont avec ne sont pas encore, elles-mêmes, déterminées. C'est ce qu'ils appellent eux-mêmes des images iconiques. Par exemple, si on parle d'Iron Man, ils ne savent pas quelle va être le récit dans trois mois mais ils ont besoin aujourd'hui cette couverture, alors tu vas juste avoir Iron Man se tenant debout. Ils faut donc s'efforcer de penser à des choses qui ne soient pas trop descriptives car, sinon, ils se pourrait que ces choses ne se produisent pas. Si je dessine Iron Man avec une armure endommagée alors que, dans le comics, il ne lui arrive rien, ça n'a pas de sens. C'est un challenge que d'arriver à réaliser des couvertures qui soient parlantes alors qu'on ne connait pas l'histoire derrière. Mais j'essaie quand même de rendre ç intéressant et je suis content d'y arriver de temps en temps. Je trouve plus intéressant de regarder une image qui ne soit pas seulement un plan avantageux d'un personnage, qui soit plus que ça. Ce qui facilite les choses c'est quand ils peuvent me dire quelle va être l'histoire ou sinon, du moins, quels vont être les personnages impliqués. Ils me disent alors "Bon, ok, dans cet épisode il va y avoir Wolverine et ce personnage et celui-là" donc même si je ne connais pas l'histoire je peux réussir à obtenir un résultat un peu plus expressif.
Avec ton imagination, as-tu jamais pensé à écrire toi-même ?
Adi Granov : Non. J'ai déjà eu des idées pour des histoires et j'aimerais explorer cette voie mais je ne voudrais pas écrire le script. Il y a des gens nettement plus doués que moi pour ça. Je voudrais être comme le réalisateur sur un plateau de tournage. Je voudrais pouvoir avoir mon mot à dire sur l'histoire et la narration mais je ne voudrais pas aller jusqu'à écrire les dialogues. D'autres y arrivent mieux que moi.
Merci Adi !
Remerciements à Aurélie Lebrun et Emmanuelle Verniquet pour l'organisation de cette rencontre, et à Alain Delaplace pour la traduction.