Artiste britannique, Barry Kitson a débuté dans les comics il y a près de 30 ans de ça, d'abord à Marvel UK mais aussi et surtout dans les pages du légendaire magazine 2000AD. Barry était d'ailleurs invité à la Paris Comic-Con par l'éditeur Delcourt pour présenter Golgoth, un comics décalé décrivant un futur sinistre dans lequel un tyran aux faux airs de Dr Doom l'aurait emporté sur les héros. Cette visite est d'autant plus intéressante que Barry et Mark Waid, tous deux à l'origine du titre, en ont depuis peu récupéré les droits et on commencé à en produire une suite, près de quinze ans après la conclusion du premier tome. C'est au cœur de l'artist alley de la convention que nous avons retrouvé Barry afin d'en savoir un peu plus su Golgoth le dernier Empereur, sa suite, la collaboration de Barry avec Mark Waid mais aussi les relations de l'artiste avec ses lecteurs et pas mal d'autres choses.
interview Comics
Barry Kitson
Peux-tu nous parler un peu de la genèse de Golgoth le dernier Empereur ? Comment en êtes vous venus, toi et Mark, à sortir ce titre et quelles ont été les difficultés que vous avez rencontrées ?
Barry Kitson : Au départ, c'est Mark qui a eu l'idée d'une série dans laquelle le vilain aurait gagné. À l'origine, on avait conçu cette série pour une compagnie, Gorilla, qui était nouvellement arrivée dans l'industrie. On y a rejoint George Perez, Stuart Immonen, Joe Perry, Pasqual Ferry... Plein de gens. Mike Wieringo et Todd Dezago... Mais l'idée était que c'était une compagnie dirigée par des créateurs pour les créateurs. Malheureusement, les affaires n'ont pas aussi bien marché qu'espéré. On avait déjà sorti les deux premiers numéros de Golgoth et, en gros, Mark les avait financés de sa poche. Arrivé là, je lui ai dit qu'on ne pouvait pas se permettre de continuer de cette manière, il est évident qu'il fallait avancer l'argent pour la production avant d'espérer pouvoir en faire et, contrairement à la rumeur de l'époque, les auteurs et créateurs de comics ne roulaient pas sur l'or. C'était notre cas, en particulier. Je suis donc allé voir DC et je leur ai dit qu'on avait ce qui nous semblait être un bon comics et je leur ait demandé s'ils étaient intéressés par sa publication. Ils l'étaient. On a donc sorti Golgoth chez DC, aux Etats-Unis. Ils ont re-publié les deux premiers numéros et publié les six suivants. Après ce premier livre, les choses ont été mises en suspens car Mark et moi sommes partis sur d'autres projets, en commençant par Legion of Super Heroes ou peut-être était-ce JLA : Year One, je ne sais plus. En tous cas, le temps est passé, Mark a quitté DC, tout comme moi et, malheureusement, DC a conservé les droits de Golgoth, on pouvait donc pas reprendre la série ailleurs. Et ça a été le cas jusqu'à il y a un ou deux ans, quand DC nous a rendu ces droits, nous permettant reprendre l'histoire. On a donc décidé de publier la suite de Golgoth avec IDW, aux Etats-Unis, et avec Delcourt, en France, ce qui nous a amené là où nous nous trouvons, aujourd'hui.
Avez-vous du vous battre, pour récupérer les droits de Golgoth ou bien est-ce que DC vous les ont simplement restitués ?
Barry Kitson : On a demandé à les récupérer pendant un très long moment. Mais comme tout, avec ce genre d'affaires... Le contrat originel avait été signé bien avant l'existence des comics au format digital et, le temps passant, des questions sont apparues, sur le plan légal. Des questions comme « Est-ce que l'on peut considérer que le comics est encore publié s'il est disponible au format digital ? ». C'était assez vague. Le contrat originel stipulait aussi que si l'on venait à continuer la série, DC en aurait la primeur, en tant qu'éditeur, chose impossible étant donné nos propres situations contractuelles qui nous liaient avec d'autres compagnies. En fin de compte, DC a fait preuve de bonne volonté, en nous restituant ces droits.
Avant d'aller plus loin dans les détails, pourrais-tu tu nous dire ce qui fait sortir Golgoth du rang, quelle sont ses qualités ?
Barry Kitson : Je crois que ce qui rend Golgoth si particulier, c'est tout d'abord qu'il n'y a pas de véritable héros. Dès qu'on commence à trouver un des personnages attachants, on trouve quelque chose de vraiment détestable à son sujet et, à l'inverse, Mark réussit à rendre les vilains sympathiques à travers leurs dialogues. Une autre grande particularité tient au fait que, les personnages nous appartenant et l'histoire ne s'inscrivant pas dans une quelconque continuité autre, tout ce qui survient dans l'histoire est définitif. Si un personnage meurt, il meurt pour de bon. On ne va pas ressusciter un personnage, personne ne va revenir d'entre les morts, personne ne sera cloné... En fait, si, on pourrait les cloner, qui sait ? [rires] Mais, oui, toute chose a ses conséquences et l'histoire poursuit sa marche. On n'est pas dans une situation où, au terme de 10 numéros ou plus, on va se dire « Tiens, on va revenir au point où on était au premier numéro, on rebooter la série ». J'en parlais un peu plus tôt avec l'éditeur de Delcourt et je lui disait qu'on pouvait en fait aller plus loin que d'autres séries car on pouvait tout arrêter dès qu'on le sentait. Aujourd'hui, la série suit son cours mais si, à un moment, on sent qu'on a atteint un point où on se dit qu'on doit y mettre un terme, alors on pourra le faire car le titre nous appartient. C'est assez agréable d'avoir la possibilité de le faire.
Etant donné l'époque à laquelle Golgoth a été conçu [note : 1999], j'ai été assez surpris par le design du personnage. Golgoth est immense, large avec des formes arrondies et des couleurs très vives, ce qui allait plutôt à l'encontre de la mode des années 90s, pour les vilains. Comment s'est fait ce choix ?
Barry Kitson : Une des grandes idées, à l'origine, était d'aller à l'encontre des clichés, en termes de design. Tout le monde s'est habitué au Dr Doom, à Darth Vader et au fait que les méchants soient toujours vêtus de noir et ont l'air sinistres. Avec Golgoth, on voulait conserver cet aspect imposant et sinistre mais le fait est que la plupart des antagonistes s'imaginent toujours être les héros. Ils ne s'habillent pas comme des vilains car ils pensent être les héros. Golgoth pense réellement qu'il est en train de construire un monde meilleur, qu'il en est le sauveur. C'est pour cela qu'il porte des couleurs aussi vives mais il reste quand même imposant et, accidentellement, effrayant.
Je pense aussi que c'est un des comics U.S. les plus british qu'il m'ait été donné de lire -
Barry Kitson : Vraiment ?
Oui, ça m'a beaucoup fait penser aux histoires qu'on pouvait lire dans la revue 2000AD, dans les années 70 et 80. Était-ce intentionnel ?
Barry Kitson : Non, pas vraiment mais je vois ce que tu veux dire. Je crois qu'on est à la frontière entre ce côté très américain voulant que les gentils gagnent toujours à la fin et que la justice doit prévaloir et un côté plus sombre où tout est déprimant. Même si beaucoup de choses sont effrayantes, dans l'univers de Golgoth, on peut néanmoins y trouver un grand nombre d'éléments positifs : le monde tourne rond, il n'y a pas de guerre en cours... Les gens ont encore de l'espoir, des croyances. Mais on montre que, parfois, les coulisses d'un tel monde sont plutôt sinistres et je crois que c'est là que tu vois un parallèle avec ce qu'on peut trouver dans 2000AD.
La suite de Golgoth, le deuxième livre de la série, est récemment sorti -
Barry Kitson : Oui, c'est exact.
Et au format digital ?
Barry Kitson : Au format digital, avec Thrillbent et au format papier par IDW. Le premier TPB de ce deuxième volume vient juste de sortir, je crois.
Quelles sont les différences entre les deux formats ? J'ai pu lire la version digitale et dans celle-ci, tu utilises pas mal d'effets comme des travellings, des échanges dynamiques entre les personnages... Comment s'est effectuée la transition ?
Barry Kitson : Il y a effectivement des différences et l'histoire n'est pas exactement la même entre les deux.
Je me souviens d'une scène où l'on tourne autour de Golgoth, au milieu d'une scène de carnage, l'effet était très réussi mais, sur papier...
Barry Kitson : Merci ! J'ai dû entièrement redessiner cette scène en en faisant une double page. J'ai vraiment fait de mon mieux pour tenter de la retranscrire telle quelle mais c'était impossible et j'ai dû la refaire. Il y en avait une autre séquence décrivant une longue descente dans un cauchemar et celle-là non plus, je n'ai pas pu la restituer. Il y a aussi de petites différences entre les deux versions, au niveau de l'histoire, mais les deux histoires se tiennent et se complètent l'une l'autre. Si on lit la version digitale puis la version papier, on a l'ensemble de l'histoire mais chaque version diffère de l'autre. L'idée est que chaque version doit suivre l'autre mais qu'en lisant les deux, on puisse apprendre de nouveaux éléments. On ne s'est pas contenté de dupliquer le comics pour gagner plus d'argent.
Est-ce que vous avez déjà une idée sur la façon dont le comics va se terminer ? Ou bien est-ce que vous comptez juste terminer l'arc en cours avant d'y réfléchir ?
Barry Kitson : En gros, on écrit l'histoire au fur et à mesure. La plupart du temps, donc, on ignore ce qui va se produire dans la suite. Mark et moi avons, à l'heure actuelle, un fil conducteur assez vague pour les douze prochains numéros et tout peut changer au détour d'une conversation. En général, on laisse l'histoire se raconter d'elle-même. Parfois, on se dit que tel ou tel personnage va prendre une place importante et devenir un héros pour finir, quelques numéros plus tard, par se dire « Oh, il va devoir y passer ». Ça change complètement notre perspective sur la suite de l'histoire, vu que l'on comptait sur la survie de ce personnage. Mais si, à un moment donné, il paraît judicieux de tuer ce personnage et que l'histoire en est meilleure, alors on le fera. C'est ce qui s'est passé avec Dream Girl, Legion of Super Heroes : on n'avait nullement l'intention de la tuer, au départ. Mais, un jour, Mark m'a appelé pour me dire « Tu sais quoi ? Il faut qu'elle meure. » À ce moment là, on a tendance à mal réagir, à dire « Non, non, on ne peut pas faire ça ! » puis on réalise que si, que ça fait une bonne histoire.
As-tu pris connaissance d'éventuels retours des lecteurs, concernant les différences entre les formats digitaux et papiers ?
Barry Kitson : Pas vraiment, en fait. La plupart des gens semblent avoir lu les deux et les avoir tous les deux appréciés et ce pour des raisons différentes. Une des choses que l'on peut arriver à faire avec le format digital et qui est impossible avec le papier, c'est de surprendre le lecteur. On peut garder quelque chose caché jusqu'à la dernière seconde tandis qu'avec un format papier, dès qu'on voit la page dans son intégralité, on peut voir la dernière case. C'est cette capacité à surprendre qu'on a essentiellement découverte, avec le format digital.
Une question qui n'est pas directement liée à Golgoth : as-tu ou non l'impression qu'aujourd'hui et en dépit des nouvelles technologies de communication, les lecteurs ont moins tendance à faire part de leur ressenti aux auteurs ? Personnellement, j'ai l'impression que les gens avaient paradoxalement plus tendance à entreprendre cette démarche auparavant.
Barry Kitson : C'est vrai qu'avant, j'appréciais plus les retours des lecteurs quand ils arrivaient sous forme de lettres papier. Les gens prenaient le temps de réfléchir à ce qu'ils vous envoyaient et à argumenter de façon logique. C'était plus personnel. Quand je travaillais sur L.E.G.I.O.N., j'avais l'impression de connaître personnellement chaque personne qui m'écrivait. Ils étaient des individus à part entière à mes yeux et je comprenais ce qu'ils voulaient me dire tandis que, de nos jours, les gens ont tendance à vous décrire une seule phrase.
« Golgoth sucks !!!! » [rires]
Barry Kitson : Oui, voilà. Ça va de ça à « C'est génial ! ». On n'apprend pas grand chose de ce genre de commentaire. Il y a aussi des commentaires comme « Xanna, elle déchire ! ». Ok, c'est super que tu aimes le personnage mais c'est quand même plus intéressant quand on précise pourquoi. « J'adore quand elle fait ci ou ça... ». C'est un des problèmes des nouvelles technologies : il est facile de faire part de son opinion mais il est aussi très facile de ne pas réfléchir longuement à ce que l'on dit. On ne fait plus non plus l'effort de le coucher sur le papier, de le mettre dans une enveloppe, de le timbrer...
Au moins, ils ne t'envoient pas de textos.
Barry Kitson : Oui. Cela dit, j'apprécie beaucoup la communauté en ligne. Quand je faisais Legion of Super Heroes, Titans, les gens sur internet étaient supers. Mais encore une fois, c'est complètement différent de ce que je pouvais recevoir sous forme de lettres.
Tu as mentionné le fait qu'entre les deux volumes de Golgoth, Mark et toi aviez participé chacun de son côté à différents projets, pour d'autres compagnies. Maintenant que vous travaillez de nouveau ensemble sur Golgoth, qu'est-ce que ces différents projets ont changé, chez chacun de vous ou dans votre façon de collaborer ?
Barry Kitson : C'est très difficile à dire. Mark a récemment été élu meilleur auteur aux Harvey Awards et il y avait un panel célébrant sa carrière dans les comics. Et, durant ce panel, Mark a dit que lui et moi avons eu une relation plus longue qu'aucun de nous n'a eu sinon, dans sa vie personnelle. Cela fait aujourd'hui plus de 25 ans que l'on travaille ensemble et même quand on ne travaillait plus ensemble sur Golgoth, on continuait à échanger et à se parler au sujet de différents autres projets. C'est donc difficile de dire ce qui a pu changer depuis car on a tous les deux changé ensemble, continuellement. Aujourd'hui encore, on collabore sous la forme d'aller-retours constants au cours lesquels on définit l'intrigue puis, souvent, une fois l'intrigue définie, je dessine l'intégralité du numéro avant même que Mark n'ait écrit les dialogues. Et, donc, je suis souvent surpris à la lecture des dialogues et par ce que disent les personnages. Même si j'ai déjà illustré les scènes, même si j'ai déjà annoté les pages avec ce que je pensais qu'ils allaient dire. Mark a le chic pour trouver une manière de dire les choses qui est surprenante et qui, en même temps, donne une nouvelle perspective. Parfois, c'est même à l'opposé de ce que j'imaginais qu'ils diraient mais ça fonctionne et ça ne change pas l'histoire. Inversement, je pense qu'il doit parfois se dire « Je vais faire une grande scène riche en dialogues. » et là, il va voir les illustrations et se dire « Hum, pas besoin, en fait. Les images parlent d'elles-même. » et on a toujours travaillé comme ça et je pense que c'est pour ça qu'on a toujours travaillé ensemble. C'est assez particulier. Je lui suis reconnaissant d'apprécier de travailler de cette manière avec moi et j'espère que c'est réciproque. Mais c'est quelque chose d'unique, pour moi en tous cas, au cours de mes trente années de carrière dans les comics, que de pouvoir travailler de cette façon là.
On dirait que vous fonctionnez comme une créature à deux têtes, à la fois auteur et artiste.
Barry Kitson : Oui, même si, en dehors des comics et de notre collaboration, on est aussi différents que peuvent l'être deux personnes. On a des goûts diamétralement opposés en musique, en littérature... C'est le jour et la nuit. Ce qu'on arrive bien à faire ensemble, c'est des comics. Là, ça marche. Mais, vivre ensemble serait désastreux. L'un de nous aurait tué l'autre au bout de la première semaine.
Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'une autre personne, passé ou présente, pour comprendre comment fonctionne son esprit ou pour en tirer quelque chose, qui irais-tu visiter et pourquoi ?
Barry Kitson : Aaaah... Hum. Au sein des comics ?
Pas nécessairement.
Barry Kitson : Parce que j'allais dire Frank Zappa. Parce que, musicalement, c'était un génie ! J'adore son jeu de guitare, ses compositions, son intelligence. Il y a des centaines de personnes parmi lesquelles je pourrais choisir mais là, tout de suite, je dirais Frank Zappa.
Merci Barry !
Remerciements à Solène Subino pour l'organisation de cette rencontre et sa gentillesse et à Mickaël Géreaume pour sa réalisation lumineuse.