interview Manga

Benjamin (Zhang Bin Lin)

©Pika édition 2014

Disparu des publications françaises depuis l’arrêt des éditions Xiao Pan en 2012, l’auteur de BD et illustrateur chinois Benjamin (de son vrai nom Zhang Bin Lin) revient en nos contrées grâce aux éditions Pika qui publient son nouvel ouvrage, Chinese girls. Ce recueil d’illustrations agrémentées de textes dépeint une série de portraits de jeunes femmes chinoises d’aujourd’hui. Si nous avions déjà rencontré Benjamin à la sortie de son premier ouvrage chez nous en 2006, une BD intitulée Remember (retrouvez la précédente interview ici), il a depuis pris une ampleur internationale en tant qu’illustrateur. La troisième exposition en France d’impressions des toiles numériques de l’auteur à la galerie Arludik à Paris nous a paru l’occasion idéale pour une seconde rencontre. Huit ans avant, nous avions discuté avec un « jeune auteur de BD » ; aujourd’hui, alors qu’il signe les pages de ses carnets des croquis présents dans Chinese girls, qui vont bientôt être exposées et vendues lors de l’exposition à la galerie Arludik aux côtés des tirages géants des illustrations numériques de ce même ouvrage, nous retrouvons un artiste aguerri et devenu « complet » (dessinateur, scénariste et illustrateur, mais aussi rédacteur en chef d’une revue de BD en Chine et professeur de dessin dans sa propre école !)... Alors, Benjamin : quoi de neuf depuis le temps ?

Réalisée en lien avec les albums Chinese Girls, Chinese Girls, X-Men - Les origines T1, Savior, One Day, Orange, Remember
Lieu de l'interview : galerie Arludik

interview menée
par
14 décembre 2014

Bonjour Benjamin. Nous t’avions déjà rencontré en 2006, donc faisons l’impasse sur les présentations. Dis-nous plutôt : à l’époque, tu nous expliquais que ton pseudo venait de la déformation de ton nom (Bin) par tes collègues de l’entreprise française implantée en Chine dans laquelle tu avais travaillé ; et l’explication qu’on trouve dans ce nouveau recueil évoque le personnage de Benjamin Braddock dans le film Le lauréat. Alors, quelle est la bonne explication ?
Benjamin : Les deux histoires sont vraies. Mon patron dans l’entreprise de jeux vidéo française dans laquelle je travaillais en Chine m’avait proposé d’utiliser le prénom Benjamin, et j’avais trouvé que c’était une très bonne idée car j’avais justement vu ce film avec Dustin Hoffman où le personnage s’appelle Benjamin.


benjamin zhang bin lin galerie arludik

On ne t’avait plus vu publié en France depuis 2010, et l’arrêt des éditions Xiao Pan en 2012 a rendu tes ouvrages indisponibles depuis. Qu’as-tu fait depuis 4 ans ?
Benjamin : Je me suis essentiellement consacré au recueil d’illustrations Chinese Girls. J’ai dû en faire entre 100 et 200, et par ailleurs j’ai eu d’autres projets. Ca m’arrive régulièrement de faire des travaux de commande. Par exemple, j’ai fait des couvertures pour Marvel, des designs de promotion pour le jeu vidéo League of legend...


Est-ce que ce genre de travaux est nécessaire pour un artiste comme toi en Chine car tu ne peux pas vivre uniquement de la BD, ou bien est-ce que tu fais ça pour le plaisir de te diversifier ?
Benjamin : C’est essentiellement pour le plaisir et parce que ça m’intéresse beaucoup, ce n’est pas par nécessité.


On t’a donc vu faire des couvertures pour Marvel, notamment une Emma Frost sur X-Men Origins, série publiée chez nous en 2011. Comment es-tu rentré en contact avec Marvel ? benjamin zhang bin lin emma frost
Benjamin : C’est par l’intermédiaire de Xiao Pan, mais je ne sais pas comment cela s’est passé, qui a contacté l’autre en premier...


Quel est ton degré d’implication dans le magazine de BD que tu as créé « True Colors » ? As-tu un rôle de rédacteur en chef, y publies-tu toi-même tes travaux ?
Benjamin : D’abord, je dois dire que ce magazine s’est arrêté car le marché du livre imprimé en Chine se contracte énormément. La raison d’être de ce magazine était essentiellement de montrer au lectorat chinois autre chose que des mangas japonais. Il y avait de la bande dessinée européenne dedans, mais aussi des travaux d’artistes chinois qui sont très différents de ce qui se fait au Japon. J’y étais rédacteur en chef, mais j’ai aussi publié des extraits de mes bandes dessinées, des illustrations et aussi des textes.


Y avait-il des choses inédites pour nous et, si oui, les verra-t-on un jour dans un recueil en France ?
Benjamin : Pour ce qui était inédit, c’était surtout des textes. J’espère qu’on les verra un jour en France, oui.


Et dans ton école la « True Colors Academy of Visual Arts » ? Tu y donnes des cours ou tu as juste créé la structure ?
Benjamin : Dans mon école, on enseigne trois spécialités : le manga à la japonaise, le design de jeu vidéo, et l’illustration digitale en 2D. Personnellement, j’y enseigne l’écriture de scénario et l’usage de la couleur.


Parlons de Chinese Girls : peux-tu nous présenter ton nouvel ouvrage ?
Benjamin : Le sujet de ce recueil est donc les jeunes femmes chinoises d’aujourd’hui. Qu’il s’agisse d’illustrateurs chinois ou occidentaux, j’ai pu constater qu’il s’agit d’un thème qui n’avait pas été abordé jusqu’ici. En particulier dans le milieu de la BD, du manga et du jeu vidéo, on voit beaucoup de femmes bien sûr, mais elles sont toujours stéréotypées ou codifiées selon les règles en vigueur dans le genre fantastique ou science-fiction. Je pense que les difficultés auxquelles doivent faire face les jeunes femmes chinoises d’aujourd’hui sont propres à notre époque, et c’est un moment dans l’évolution de la société chinoise qui ne va pas durer. C’est ça que j’ai voulu exprimer. Leur rapport à l’amour, au mariage, la pression qu’elles ont pour fonder une famille... Tout ça, c’est une situation très particulière et qui évolue aussi, et c’est ça que j’ai voulu montrer.


benjamin zhang bin lin chinese girls C’est un peu ton sujet de prédilection, tu en parlais déjà dans Orange et même un peu dans Remember, parues en 2006 chez nous, et il y a énormément de jeunes filles chinoises dans tes illustrations...
Benjamin : Oui, c’est sûr que c’est un sujet qui me préoccupait déjà à cette époque et que j’ai tenté d’approfondir dans ce recueil d’illustrations


D'où vient l'inspiration pour les textes qui accompagnent parfois les illustrations de Chinese girls ? Ce sont des histoires vraies ou bien est-ce romancé ?
Benjamin : Cela vient essentiellement des jeunes femmes que j’ai pu rencontrer, ce sont les difficultés auxquelles elles doivent faire face qui m’ont inspiré. Oui, pour moi c’est ça la création artistique, c’est d’amener le lecteur quelque part ; que ce soit une histoire réelle ou pas ça n’a pas d’importance. Pour atteindre l’objectif qu’on s’est fixé, le plus important reste la technique, et peu importe qu’on respecte le réel à la lettre ou pas. C’est pour ça que mes grandes compositions ne sont pas basées directement d’après photos. Dans mon processus de création j’utilise la photographie, et quand je réalise des histoires, c’est un peu pareil


Et graphiquement, tous ces croquis de jeunes filles correspondent à des moments vécus ou fantasmés, ou un peu des deux ? benjamin zhang bin lin
Benjamin : C’est un peu des deux. En fait, j’aurais beaucoup d’histoires à raconter pour chacune de ces compositions, et c’est exactement pour ça que j’ai inséré des textes dans ce recueil. Il y a trois histoires principales qui donnent une impression générale de l’ensemble des ambiances où sont plongées toutes les femmes que j’ai représentées.


Quand nous t’avions rencontré en 2006, tu nous disais vouloir t’essayer à l’aquarelle, et on voit dans ce recueil que tu t’y es mis. Alors, qu’en penses-tu, notamment par rapport au travail à l’ordinateur ?
Benjamin : Pour moi, les encres sur papier, c’est relativement facile, alors que les illustrations sur ordinateur, c’est beaucoup plus exigeant. Dans ce que je fais sur papier dans mes carnets, le niveau technique n’entre pas en considération : ça n’a pas d’importance que ça soit bien dessiné ou pas, car ce ne sont que des exercices. Par contre dans mon travail numérique, j’aimerais continuer à aller plus loin, pour peindre encore mieux si c’est possible.


Tu n’as pas envie de faire de l’aquarelle de manière professionnelle ?
Benjamin : Oui, j’aimerais bien mais pas pour le moment. Pour l’instant, cela reste de simples exercices.


De même qu’on n’avait plus de nouvelles de toi depuis l’arrêt des éditions Xiao Pan, nous n’avons plus entendu parler de Ji Di qui était une amie à toi. Alors, des nouvelles de Ji Di ? benjamin zhang bin lin chinese girls
Benjamin : Ji Di travaille toujours en Chine, elle a publié une BD et un roman. Elle a un projet avec Pika également, donc on devrait voir très bientôt ses nouvelles œuvres traduites en français...


Si tu avais le pouvoir de visiter l’esprit d’un autre artiste, de BD ou autre, vivant ou mort, pour y découvrir ce qui fait son génie, savoir d’où lui vient son inspiration, comment il réfléchit ou même pour lui voler des techniques si tu en as envie, qui choisirais-tu et pourquoi ? Attention, à l’époque tu nous avais déjà répondu : nous allons voir si 8 ans après, tu as changé d’avis ou non !
Benjamin : Luc Besson, car ce qui m’impressionne chez lui c’est sa capacité à faire des choses à la fois très commerciales et très personnelles. Il fait des films très commerciaux, il fait aussi de l’animation, des films d’amour... et cette capacité à faire des choses aussi différentes, ça m’impressionne énormément. Qu’avais-je répondu il y a 8 ans ?


Tu avais parlé de François Boucq.
Benjamin : Ah oui, lui aussi c’est quelqu’un de vraiment très fort !


Merci !


benjamin zhang bin lin




Merci à Florent Sabourin pour la traduction, à la galerie Arludik, aux éditions Pika et notamment à Laure Peduzzi.


Toutes les illustrations de l'article sont ©BENJAMIN ©2014 Pika Édition
Toutes les photos sont ©Nicolas Demay