interview Comics

Bill et Nikola Witko

©Les Humanoïdes Associés édition 2008

L’univers de la Lucha Libre provient certes du cerveau déjanté de Jerry Frissen (parfois assisté d’Inès Vargas), mais pour illustrer l’ensemble, de nombreux dessinateurs répondent présents. Parmi eux, Bill, copilote de Gobi sur les Zblu Cops, et Nikola Witko, un artiste ayant maintes fois œuvré parmi les éditeurs indépendants. Leurs styles sont aux antipodes, mais chacun apporte un véritable vent de fraîcheur au 9e art. L’interview fut l’occasion de découvrir deux auteurs très différents, mais partageant un sens de l’humour irrésistible. Retrouvez donc en médaillon Bill (l’homme à lunettes) et Nikola Witko (l’homme qui fume). Enjoy !

Réalisée en lien avec l'album Lucha libre T9
Lieu de l'interview : le cyber-espace

interview menée
par
30 novembre 2008

Bonjour, pour commencer, pouvez-vous rapidement vous présenter : l'origine de vos pseudos, votre vie, votre œuvre, vos positions sexuelles favorites ?
Bill : Alors mon pseudo il faut juste savoir que je l’ai pas choisi, on me l’a imposé au lycée (un genre de bizutage quoi). Ma vie, ça va pas trop mal, mon œuvre se résume à 2 séries pour l’instant (ce qui est déjà pas mal), les Zblu cops que je fais avec Gobi et Lucha libre avec d’autres mecs bizarres. Mes positions sexuelles favorites c’est de préférence pas tout seul, et mon parcours c’est un bac arts appliqués, suivi d’un diplôme d’illustration et des nominations au concours jeunes talents d’Angoulême qui m’ont permis de me faire remarquer par les Humanos.
Nikola Witko : Houlalala. C'est une longue histoire. La prise de l'ours. Sinueux.

Quelles sont vos influences ?
B : J’en ai eu pas mal de différentes. Chez les américains, Mignola. En France, j’aime bien ce que fait Peeters, mais je ne peux pas vraiment parler d’influence, vu que j’ai découvert y a pas hyper longtemps. Disons que je m’en sens assez proche, de même que Brian Lee O’Malley dont j’ai découvert la série  Scott Pilgrim cette année et dont je suis assez jaloux… Sinon, je pense que mes principales influences sont japonaises, Toriyama pour Dragon Ball, Dr Slump et Cowa, un peu de Rumiko Takahashi, Ranma ½, du Taiyo Matsumoto Amer beton dont j’adore l’univers, et pas mal de trucs en anim, du Morimoto et le Studio 4°C, du studio Gainax (Evangelion, FLCL, Gurren Lagann) et sûrement du Miyazaki…
NW : Le cinéma de série B, voire Z, la SF des années 50, Douglas Adams, Christopher Moore, Hara Kiri, Desproges, Devos, Jean Roucas...

Copyright Bill & Witko 2008Comment êtes-vous arrivés sur le projet Lucha Libre ?
B : Jerry a donc vu les pages que j’avais faites pour le concours jeunes talents, dont le personnage principal était un petit catcheur. Il m’a alors proposé un premier script de 12 pages, qui sont en fait les 12 premières pages de l’album des Luchadores five. Elles sont passées dans l’édition US de Métal Hurlant, et les Humanos nous ont alors proposé de continuer… et petit à petit les autres dessinateurs se sont greffés au projet pour finalement former la dream team que vous connaissez…
NW : Jerry a profité de mon état d'ébriété avancé lors d'une soirée angoumoisi(n)e pour me faire signer n'importe quoi. J'ai même pas remarqué que c'était en anglais. Depuis, je ne bois plus.

Jerry Frissen vous laisse-t-il un droit de regard sur le scénario, pouvez-vous modifier à votre convenance son scénario ou y ajouter des éléments ?
NW: Si on court assez vite, on a le droit de faire ce qu'on veut. C'est d'ailleurs extrapolable à des tas de situations. Essayez, vous verrez.
B: On discute beaucoup avec Jerry en effet, il est assez ouvert et fait le maximum pour intégrer mes idées ou retravailler des passages quand je ne sens pas le truc… Quand on n’est pas d’accord, ce qui arrive rarement, je lui laisse le dernier mot, pas pour protéger mon intégrité physique (ça va, il vit quand même à quelques milliers de km), mais parce qu’au final, c’est son scénario…

Comment faites-vous pour garder ce rythme intensif ? Drogues ? Sexe ? Alcool ? Guronsan ? Combien de temps mettez-vous à réaliser une planche ?
NW: Un peu tout ça, mais jamais les 4 en même temps. C'est dangereux, les mélanges. Du coup, réaliser une planche peut prendre 1 heure ou 3 mois. C'est très variable selon les combinaisons.
B: On a un peu tout essayé, ce qui marche bien avec la drogue c’est que ça génère un cercle vicieux, comme on devient dépendant on se retrouve forcé de bosser un peu pour se payer sa came, pas le choix… La où ça va être dur, c’est le jour où on voudra arrêter l’un ou l’autre… Sinon, réaliser une planche, ça prend à peu prés 2 ou 3 jours…

Concernant Tcho, Bill, tu bosses toujours sur les Zblucops en parallèle, peux-tu nous en dire un peu plus sur cette série… Comment partages-tu ta casquette avec Gobi, l’un fait-il les perso et l’autre les décors…
B: Oui, on continue toujours, le tome 5 vient de sortir (il est d’ailleurs nominé en sélection jeunesse à Angoulême), on est en train de préparer le tome 6. Avec Gobi, on est tous les deux scénaristes et dessinateurs, on écrit tout à deux, et ensuite on fait la moitié des pages chacun en se répartissant les scènes…

Copyright Bill & Witko 2008En 2002, Bill, tu as créé un court métrage d’animation « Catfish hotel » avec Gobi (ici). Le milieu de l’animation est-il un domaine qui t’intéresses, souhaites-tu retenter l’aventure, avec Lucha Libre ?
B: On est des gros fans d’animation, et donc oui, on aimerait bien pouvoir développer des projets en anim, les Zblu cops sont en développement chez Alphanim actuellement. On aimerait bien aussi faire un dessin aimé de Lucha Libre, mais il n’y rien de concret pour l’instant.

Bill, tu multiplies les casquettes : designers, dessinateurs, animateurs… laquelle préfères-tu ?
B : Pour moi c’est un peu la même casquette en fait. Ce qui nous plaît avant tout c’est de créer des personnages et de raconter leurs histoires, peu importe le média… On aimerait bien faire du jeu-vidéo aussi par exemple…

Nikola, quant à toi, tu as longtemps œuvré dans le milieu « underground » avec Les requins marteaux. Comment s’est passé la transition avec les Humanos ?
NW : Je m'attendais à une orgie de notes de frais, du champagne à chaque réunion, aller aux dédicaces en avion, à avoir des pom-pom girls sur le stand, des saladiers de co... caviar dans les loges, des pu... des masseuses asiatiques, des danseuses indiennes, des... Mais en fait, c'est pareil, ils sont fauchés.

Tu as sorti Muerto Kid, pas jaloux de voir débarquer aux USA la série Death Jr (Mortis Jr chez les humanos) ? Les américains t’auraient–t’ils copié ?
NW : Et bien, j'avoue qu'avec mon compli... collègue F.Felder, on a un temps pensé pouvoir se remplir les poches en faisant un bon gros procès bien juteux aux Humanos, voire aux américains, mais il paraitrait qu'il y a un jeu vidéo qui date de la même époque. Et puis de toute façon, ils sont fauchés.

Le personnage du Pr Furia est véritablement ignoble, y a-t-il un peu de toi à l’intérieur ?
NW : Si tu oses écrire ça, je t'injecte le tétanos dans les couilles !!

Quel est votre degré d’implication dans l’univers de la Lucha Libre ? Dans votre quotidien, vous mettez la cagoule, vous vous bastonnez souvent (quel est le gagnant) ?
B : On ne porte pas en permanence nos masques, c’est encore assez mal vu chez nous, et si vous voulez le porter en allant faire vos courses chez l’épicier, vous avez de fortes chances de prendre un coup de batte… Finalement, on ne peux être nous-mêmes que dans l’intimité de nos appartements… Heureusement pour nous, et pour l’anthologie Lucha Libre, on n'habite pas à côté les uns des autres, et on ne se bat donc pas très (trop) souvent…
NW: Ah, je ne mets plus mon masque que dans l'intimité de mon lit conjugal, maintenant. Je vous l'ai dit, j'ai arrêté de boire.

Quel est votre prise de catch favorite ?
B : Le poing dans la gueule.
NW: La cravate de notaire.

Travaillez-vous dans une ambiance particulière ?
B : A la base, pas spécialement, mais récemment Gobi m’a prêté un CD avec des cris de loutres que j’écoute en boucle…
NW: Quand c'est possible, j'aime bien profiter du lyrisme des commentateurs sportifs en toile de fond. J'aime aussi les documentaires de banalisation scientifique. En fait tout ce qui permet de garder les yeux et la main droite disponibles. Autant dire que certains films sont fortement déconseillés.

Copyright Bill & Witko 2008Sinon, quels sont vos autres projets ? En cours et/ou à plus long terme ? Des collaborations ? Y’a-t-il quelqu’un avec qui vous aimeriez travailler ? On veut un scoop !
B : Des projets, on en a plein, mais pas des masses de temps pour les concrétiser… Ce qui est sûr, c’est qu’on aimerait bien se frotter au format manga, pour avoir plus de place pour raconter nos histoires… En même temps, je ne suis pas très familier du travail en noir et blanc, donc je sais pas trop à quoi ça ressemblerait… Pour l’instant, on continue nos séries, d’autres gens vont sûrement se joindre à nous sur Lucha Libre (peut-être Christophe Gaultier par exemple), et si on me demande avec qui je voudrais bosser, je dirais Brian Lee O’Malley…
NW : Quelques projets secrets ou en gestation, dont je ne parlerai pas car ils peuvent sombrer dans l'oubli à tout moment. Sinon, j'aimerai bien travailler avec un mec connu qui vend plein d'albums.

Quel est votre ressentiment sur le milieu actuel de la BD, les mangas et les comics ?
NW : Le milieu, je ne sais pas vraiment. Personnellement, je suis encore en bas.
B : Je lis plein de trucs différents, mais c’est sûr que je trouve généralement plus mon compte chez les mangas… et c’est pourquoi j’aimerais en faire un. Je me sens de plus en plus étriqué dans le format 46 pages classique…

Lucha Libre est distribué aux Etats-Unis par Image Comics et dans d’autres pays (Espagne par Glénat, Italie depuis peu), c’est le début de la renommée mondiale pour vous ? Qui a vu ses chevilles gonflées ?
B : Tout le monde… faire de la bd, c’est avant tout une affaire d’égos surdimensionnés…
NW : Heureusement, pas Inès, qui a gardé ses frêles chevilles de gazelle...

Figurines, site web dédié, vous-même en version mini... quel est votre droit de regard sur tout ça ? Que pensez-vous du résultat ?
B : En fait, tout ce qui est dérivé est produit par Muttpop, la société créée par Jerry et son associé Robert Silva… On est donc au plus prés de la réalisation de ces projets… C’est plutôt appréciable.
NW : Le résultat est fabuleux. Et j’avoue que ma soif de reconnaissance serait partiellement apaisée si je pouvais ranger ma propre figurine entre celles de Hank William et celle de Jésus. Je vais peut-être lancer une pétition en ligne.

Quelles bandes dessinées conseilleriez-vous ? (vos favorites, vos derniers coups de cœur) Et celles que vous déconseilleriez ?
B : C’est une honte que personne n’ait encore publié Scott Pilgrim en France (j’insiste encore dessus) c’est vraiment un des plus chouette trucs que j’ai lu cette année…
NW : Le roi des mouches de Mezzo & Pirus, le Séquelles de Micol qui est étonnant, Panier de singe de Ruppert & Mulot. Astérix chez les bretons, tout Clowes, Winzo, Bouzard, Sapin, Mandel.... Quand à celles que je déconseillerais... Mon dieu, prenez le classement des meilleures ventes.. Spécialement les derniers Astérix. Un scandale.

Si vous aviez une gomme magique pour changer un détail ou une partie d’une case ou d’une planche d’un de vos titres, souhaiteriez-vous l’utiliser ? Et si oui, sur quoi…
B :Mmm, j’essaie de ne pas trop regarder en arrière, à mon avis pour progresser il vaut mieux se concentrer sur ses nouveaux projets, qu’avoir des regrets sur les anciens…
NW : A peu près tout.

Si vous aviez le pouvoir de vous téléporter dans le crâne d'un auteur de bande dessinée, qui choisiriez-vous de visiter ?
B : Peut-être Eiichiro Oda, l’auteur de One piece…il doit être un peu taré.
NW: Crumb.

Si vous n’aviez pas fait de la BD, qu’auriez-vous fait ?
NW: Astronaute. Spationaute, pardon.
B: J’espère quelque chose en rapport avec le dessin… sinon, j’étais plutôt bon en Maths à l’école… mais je crois vraiment que ça ne m’aurait pas éclaté. Ce qui est bizarre, c’est que j’ai réalisé que c’était possible de faire de la BD que le jour où j’ai signé mon premier contrat…

Quelles questions ne vous ai-je pas posé et à laquelle vous aimeriez répondre ?
NW : Vous auriez pu me demander si je voyais comme un espoir la belle solidarité des gouvernements à aligner des milliards pour sauver le système et les institutions qui nous ont mis dans la merde, quand quelques introuvables millions auraient suffit à éradiquer la famine... Vous auriez pu me demander si je me réjouissais de voir nos têtes couronnées s'entourer de l'élite intellectuelle et philosophique de notre temps. Bigard, Doc Gynéco.... Vous auriez pu me demander si la diminution des libertés individuelles au nom de la Liberté est un non-sens. Ou non. Vous auriez pu me demander si la fermeture programmée des librairies indépendantes au profit des chaines ne me rappelait pas d'autres secteurs d'activité. Vous auriez pu me demander si le contrôle de l'ensemble des publications par quelques grands groupes du côté obscur me faisait flipper. Mais je ne vous aurais pas répondu. Je tiens à mon boulot. Et puis c'est un peu tard pour me reconvertir en spationaute.
B: Quel est votre principal défaut ?

La réponse ?
B: Je suis perfectionniste.

Merci à tous les deux !

Copyright Bill & Witko 2008