interview Bande dessinée

David François

©Rue de Sèvres édition 2021

David François est un coloriste et dessinateur qu’on voit de plus en plus dans le paysage de la bande dessinée. Il lance sa carrière avec L'étrange affaire des corps sans vie, puis en colorisant la célèbre série La guerre des Lulus pour Hardoc et Régis Hautière. Il signera le dessin de plusieurs BD comme De briques et de sang, Pour tout l’or du monde sans oublier l’excellent diptyque Un homme de joie. Ce géant en taille s’attaque désormais à un géant du cinéma : Charlie Chaplin. C’est avec cette nouvelle série que l'amiénois débarque à Angoulême, l’endroit idéal pour le rencontrer et parler de ce nouveau projet.

Réalisée en lien avec les albums Chaplin T1, Chaplin T2
Lieu de l'interview : Angoulême

interview menée
par
18 mars 2021

Bonjour David François. Pour les lecteurs qui ne te connaissent pas encore, pourrais-tu te présenter ?
David François : Je suis dessinateur et coloriste de bande dessinée depuis quinze ans. Mon premier bouquin est sorti en 2006 donc on est proche des quinze ans.

Tu travailles beaucoup avec Régis Hautière.
DF : Régis est le premier scénariste avec qui j’ai collaboré. On était toute une bande « d’aspirants » auteurs à Amiens, là où je vis et travaille. On a tous démarré plus ou moins à la même période. J’ai donc rencontré Régis à cette époque-là. Lui démarrait des projets professionnels avec notamment Hardoc qui bosse chez Casterman sur la série La guerre des Lulus. Toute cette mouvance créait une synergie assez forte autour de la bande dessinée à Amiens, à l’époque. On a donc démarré un projet avec Régis, puis un deuxième et un troisième. C’est un collaborateur et un ami : la famille BD amiénoise.

Tu as notamment travaillé sur plusieurs tomes de La guerre des Lulus, à la couleur.
DF : J’ai fait les cinq premiers albums en collaboration avec Hardoc, je n’ai pas fait toute la colorisation dessus. J’ai fait une bonne partie de la mise en couleurs et c’est le dessinateur Hardoc qui termine la colorisation parce qu’il a sa propre patte et sa manière de mettre en couleurs également. Moi je suis là pour aider au travail et faciliter le dessinateur. J’ai mis entièrement en couleurs le spin off La perspective Luigi qui a été dessiné par Damien Cuvillier. C’est mon apport à la série La guerre des Lulus.

Copyright Hardoc, David François – Casterman


Tu travailles souvent sur la période du début XXème siècle. Est-ce un hasard ?
DF : Non, ce n’est pas un hasard. C’est vraiment par goût graphique. J’aurais beaucoup de mal à dessiner une époque actuelle. Pour moi, c’est inintéressant visuellement : les voitures, les vêtements, l’architecture. Je ne pense pas que l’on soit dans une des périodes les plus créatrices là-dessus et l’histoire du début du siècle me parle beaucoup plus que celle d’aujourd’hui. Mais c’est aussi purement une histoire de goût.

Copyright David François – CastermanEst-ce que la série Un homme de joie caractérise bien tes goûts ?
DF : Ça caractérise plein de choses, Un homme de joie ! A la base, les personnages, l’univers, cette histoire d’amour et le contexte, cela vient de moi. A partir de ces petits éléments de moi, Régis Hautière a construit une histoire qui tient la route. L’univers et l’ambiance qu’il y a dans ce livre, c’est vraiment moi de bout en bout, magnifié par le travail d’écriture de Régis. Il a réussi à le remettre en ordre et à faire que ce soit lisible et intéressant pour le lecteur, mais il y a énormément de moi dans ce diptyque.

Comment peut-on décrire ton style graphique ?
DF : Je laisserais plutôt les gens l’exprimer eux-mêmes. On me dit que « je fais du David François » : ça doit être vrai ! C’est un dessin qui vient de mes influences, comme tout un chacun. Mais je ne me pose pas la question : je dessine et c’est tout.

Pourquoi faire une série sur Charlie Chaplin ? Y a-t-il un lien avec l’exposition de la Philharmonie de Paris ou tous les évènements autour des 130 ans de sa naissance ?
DF : Non, c’est un pur hasard. Si je n’avais pas pris de retard sur mes albums précédents, le premier tome de Chaplin devait initialement sortir fin 2018 tel qu’on l’avait établi avec le scénariste et l’écrivain. Cela n’avait donc rien à voir avec les évènements mis en place autour de l’anniversaire de Chaplin.

Quel est ton lien avec Chaplin ?
DF : Aucun. Je connaissais Charlot comme tout le monde. J’ai déjà vu certains de ses films quand j’étais ado, mais je n’ai pas d’appétences très fortes pour le cinéma. Ce n’est pas un média qui me parle autant que la littérature ou la musique. Ce qui m’a décidé à travailler sur Chaplin, c’est tout l’apport du romancier Laurent Seksik et la manière dont il traite l’exercice biographique. Copyright David François – Rue de SèvresQuand mon éditrice m’a parlé de ce projet, j’ai lu les livres de Laurent, notamment Les derniers jours de Stefan Zweig et Le cas Eduard Einstein qui sont deux très bons livres. Je me suis dit que si l’exercice biographique était traité de cette manière-là, ça m’intéresse. Ce n’est pas scolaire et il y a une vraie personnalité et sensibilité : il y a quelque chose de très fort qui se dégage de son écriture et c’est ce qui m’a donné envie de faire cette série. J’étais donc curieux de voir la forme qu’allait utiliser Laurent et il y a en plus les livres que j’ai ensuite lus sur la vie de Charlie Chaplin. Je me suis rendu compte alors qu’il a une vie assez folle. Il a traversé tout le XXème siècle et il a pris certains évènements en pleine face. Il n’a échappé à rien et c’est assez étonnant, assez extraordinaire même. Le lien s’est fait après coup grâce au travail du romancier puis en m’intéressant un peu à la vie de Chaplin.

Combien de tomes sont prévus et sur quelle période de la vie de Chaplin ?
DF : Cela se fera en trois tomes et on raconte toute la vie de Chaplin. Le premier tome est vraiment focalisé sur son succès, son arrivée aux Etats-Unis, ses débuts au cinéma. Le tome deux sera plus orienté sur son engagement politique, donc ses longs métrages. Et le dernier sur la chasse aux sorcières dont il a été victime. En fil rouge de ces trois albums, il y a sa relation avec les femmes et sa vie personnelle.

Ce qui est étonnant dans ce premier tome, c’est que le dessin semble dominer sur un texte un peu moins présent. Laurent Seksik t’a laissé une grande liberté pour le dessiner ?
DF : On n’est pas dans une biographie linéaire ou scolaire. Il y a une place pour le dessin qui était évidente de par le personnage de Charlot qui bouge et tout ce qu’il met en place. J’avais envie de ça et il était clair avec Laurent et l’éditeur que je prenne en charge le story board et la mise en scène. Laurent n’écrit pas comme un scénariste de bande dessinée classique sur ce qu’il se passe dans telle ou telle case. Laurent écrit comme il le fait dans ses romans. Ayant déjà beaucoup travaillé sur Chaplin, il sait déjà quelles étapes de sa vie il veut raconter et dans quel ordre il veut les mettre. Il a déjà la musique de l’album d’une certaine façon et il va travailler sur les dialogues. Là-dessus, avec mes dessins, je mets en scène en essayant de cadrer avec son texte et j’essaie également de faire un vrai apport narratif par le dessin, surtout quand il y a des séquences sans texte. J’essaie de trouver un équilibre qui se construit au fur et à mesure du projet.

Ton travail sur les couleurs est également remarquable. Comment les travailles-tu ?
DF : C’est ma petite « cuisine » : je scanne des éléments à droite à gauche, je rajoute des couleurs riches en phosphore pour donner des textures et pour donner un peu de matières. Je ne veux pas que mon dessin soit trop lisse pour qu’on ait l’impression que c’est de la mise en couleurs traditionnelle. Ma mise en couleurs est beaucoup plus tranchée que ce que je pouvais faire avant et cela vient de mes affiliations artistiques et de la sérigraphie que j’affectionne énormément.

Copyright David François – Rue de Sèvres



N’est-ce pas trop difficile de faire de la bande dessinée sur un génie comme Chaplin ?
DF : Non, cela reste un personnage comme un autre. Il n’y a pas lieu de le déifier. Cela reste un homme, énormément talentueux à la limite du génie, voire même du génie pour certains, mais il n’y a pas de raison d’être intimidé. On pourrait être intimidé si la personne était encore vivante ou si on avait affaire à elle directement. Il n’y a pas de pression plus que cela autour de ce projet.

Du coup, tu revisionnes certains de ses films ou courts métrages ?
DF : J’en regarde au fur et à mesure quelques-uns et notamment les courts métrages et certains longs métrages que je n’avais jamais vus.

Copyright David François – Rue de SèvresAs-tu d’autres projets ?
DF : Pour l’instant, il n’y a pas du tout d’autres projets : je me focalise vraiment sur Chaplin avec le tome deux et tome trois à venir. J’ai forcément des idées en tête et des choses qui traînent que je développerai au sortir de Chaplin. Mais pour l’instant, je reste concentré entièrement sur ce projet.

Si je te donnais le pouvoir de rentrer dans la tête d’un artiste, qui serait-ce et pour y trouver quoi ?
DF : Je dirais Toulouse Lautrec… pour savoir comment ça fait de mesurer 1 mètre 20 (rires) ! Plus sérieusement, ce serait Lautrec car il y a ce côté très libre dans le trait et il y a quelque chose d’assez fou dans son dessin. Ce n’est pas tant ses peintures en elles-mêmes mais plus ce qu’il a pu faire avec des croquis et les dessins qu’il a faits quand il était en hôpital psychiatrique pour prouver qu’il n’était pas fou. C’est incroyablement vivant, ce que je voudrais retrouver dans mon propre travail. J’aimerais savoir ce qu’il a compris de plus que la majorité des autres et comment il arrive à faire tout cela.

Merci David !

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