Georges Bess, le dessinateur du célèbre « Lama Blanc », revient et signe le retour de cette fameuse série scénarisée par l’inévitable Alexandro Jodorowsky. Nous avons interviewé le dessinateur à Angoulême. Marqué par le temps, l’homme est immortel et semble habité par une énergie mystique. Plus profond et plus puissant que son personnage, Bess tutoie les sommets grâce à son art en constante évolution. Rencontre avec un homme truculent mais profondément humain, d’une force artistique sans égal.
interview Bande dessinée
Georges Bess
Bonjour Georges. Peux-tu te présenter aux lecteurs ?
Georges Bess : Je suis un individu de sexe masculin, poilu, quoique dégarni… J’ai facilement 58 ans. Cela fait un moment que je fais de la bande dessinée. C’est vrai qu’au départ, je suis quelqu’un qui adorait dessiner et qui suis tombé presque naturellement dans le dessin par une suite de hasards. Il y a longtemps, j’ai rencontré une jeune Suédoise. J’ai été vivre en Suède et là, il fallait que je travaille, que je trouve quelque chose à faire. Il se trouve que je savais dessiner. De fil en aiguille, j’ai été chez des éditeurs et j’ai commencé à travailler chez des Suédois. Par la suite, j’ai embrayé et je suis allé aux Etats-Unis. J’ai travaillé un an à New York. Je suis revenu à Paris. Je suis


GB : Jodorowsky est d’abord un personnage fascinant, hors du commun. L’écouter dans des conférences, c’est incroyable. Il avait fait des films formidables. Il travaillait dans des bandes dessinées avec Mœbius et Arno. Je me disais que c’était le seul avec qui j’aurai envie de travailler. Par un tas de hasards, je l’ai rencontré. Il a su que je faisais de la bande dessinée et il m’a proposé ce scénario du « Lama Blanc ». Je revenais du Tibet où j’avais été ébloui. Depuis, j’ai fait quinze albums avec lui. Parallèlement, je rêvais à des histoires personnelles. Je n’avais pas trop le temps mais un jour, j’ai fait ma propre œuvre, puis une autre et ça s’est ensuite enchaîné. J’ai donc pu créer « Péma Ling ». La série s’est arrêtée abruptement pour des conflits avec l’éditeur. Mais c’était ma version. J’avais envie de voir ce que j’allais raconter un peu dans le même sujet. Le paradis, c’est de travailler seul avec soi même. Travailler avec un autre c’est rentrer dans son univers à lui et c’est donc une sorte de contorsionnisme. Ce n’est pas évident mais comme c’était Jodo, je pouvais. Je n’ai jamais travaillé avec d’autres.
Tu ne voudrais pas scénariser un album et en laisser le dessin à quelqu’un d’autre ?
GB : J’ai quelques scénarios et story boards tout prêts mais je n’arrive pas à trouver qui pourrait les dessiner. En plus j’ai envie et j’adore dessiner. Pourquoi donc le laisser à quelqu’un d’autre ? Si c’est pour gagner facilement de l’argent, je n’en ai pas envie. Je prends mes propres risques.
Pourquoi avoir repris le « Lama Blanc » ?
GB : Je n’avais pas pensé le reprendre mais j’avais laissé la porte ouverte dans le dernier tome où j’avais écrit sur la dernière page : « fin du premier cycle ». Je me suis ensuite retrouvé bloqué personnellement avec une histoire impossible. Le personnage avait une évolution et il devient une sorte de bouddha fantastique qui peut tout être et tout faire. Il pouvait se transformer en ruisseau, en nuage, en drapeau… en n’importe quoi. Comment un type qui peut tout peut

As-tu d’autres projets ?
GB : Je ne sais pas combien j’ai de scénarios d’avance mais j’ai un projet que j’adore : un gros truc. C’est de la science fiction vraiment spéciale, en trois ou quatre tomes. Je voudrais que ce soit mon chef d’œuvre si je puis dire. Je l’ai déjà réécrit deux fois et je le prépare encore. A côté de ça, j’ai une production de dessins qui m’enchantent. Il y a un dessin dans l’expo Glénat : « Le gorille » que j’adore. J’appelle ça du free jazz : je ne sais pas où je vais. C’est une impro graphique qui devient quelque chose. Cela n’a rien à voir avec une bande dessinée mais ça vient de la bande dessinée. C’est tout ce que j’ai appris dans ma vie, avec le noir, le blanc, les plumes, les pinceaux, les sculptures d’espaces et de formes au service d’un truc libre au départ. J’adore ça ! Certains dessins font plus de deux mètres.
Généralement avec le temps, certains artistes s’économisent. Pourtant, avec toi, le dessin est très travaillé.
GB : La base de mon travail est le désir. C’est l’envie. Il y a une tension : il y a la vie qui est moyennement intéressante et la vie passionnante du dessin. Tu as un petit carré et tu vas plonger dedans, tu vas te dissoudre. Je travaille avec les choses que j’aime : le Tibet par exemple. J’adore le vrai Tibet mais je ne vais pas y vivre. J’y retourne de temps en temps. Je revis sans arrêt ce plaisir là. Je n’ai donc pas à m’économiser dans le plaisir. Des fois, j’ai mal au dos mais je peux

Mme Georges Bess : Si je peux me permettre d’intervenir : tu es un artiste comme j’en ai rarement connu. J’en ai rencontré beaucoup et j’ai vécu avec beaucoup d’artistes au milieu d’ateliers. Je n’ai jamais vu un artiste aussi pur : c’est quelqu’un qui est toujours dans la création. Ce n’est pas seulement trouver une façon d’illustrer une idée ou la façon la plus originale de le faire. Son mot d’ordre est de ne jamais tomber dans la facilité. La première idée qu’il a en tête, ce n’est jamais celle qu’il choisit : il va toujours plus loin.
GB : j’ai trouvé une formule qui résumerait tout ça. En construisant, je me construis. Plus je travaille, plus je me découvre. J’accouche de moi-même. C’est l’endroit où il n’y aucun conflit. Personne ne me dit ce que je dois faire. Je suis libre : c’est le lieu de la liberté, le lieu du plaisir pur. Par exemple, un grand ami : Moebius. Est-ce qu’il a donné l’impression de ralentir ou de s’économiser. Je me dis que je n’ai rien fait à côté de ce type ! Je me suis fait longtemps la réflexion mais le mec, il a oublié de vivre. Je l’avais souvent croisé et il était toujours avec un carnet en train de dessiner dans le train ou n’importe où. Il était dans un autre monde et il a vécu deux vies. C’est une perte inestimable pour l’humanité car je pense que c’est l’un des plus grands artistes de la planète. Il était mille fois meilleur que Léonard de Vinci. C’était un esprit extraordinaire.
Si tu avais le pouvoir, que tu aurais peut-être trouvé au Tibet, de rentrer dans la tête d’un auteur, qui choisirais-tu et pour y trouver quoi ?
GB : Je n’aimerais pas : j’ai déjà du mal avec la mienne (rires). J’ai trop à faire avec ma propre existence, avec ma propre cervelle. Et puis, on ne peut pas choisir : c’est absurde. A Angoulême, on demandait de voter pour Alan Moore (un génie en écriture) Hermann (excellent, il a des défauts mais il est bon) ou Otomo (qu’on a plus vu depuis trente ans). Mais comment veux-tu choisir ? On ne demande pas des choses comme ça. On n’est pas des chevaux de course : on n’a pas à être classé. Je suis contre les prix. Cela fait plaisir à ceux qui les donnent. On est tous différents et c’est absurde de récompenser l’un plutôt que l’autre.
Merci Georges.