Hannah Templer était cette année pour la première fois à Angoulême, sous la bannière des éditions Bliss, quelques jours avant la sortie de son premier album en temps qu’autrice complète, Cosmoknights. Nous avons pu rencontrer la jeune américaine dont la sensibilité se retrouve dans son comics.
interview Comics
Hannah Templer
©Bliss Comics édition 2023
Réalisée en lien avec l'album Cosmoknights
Bonjour Hannah, nous sommes à Angoulême et Cosmoknights parait dans quelques jours. Peux-tu te présenter et nous dire comment tu es devenue autrice de comics ?
Hannah Templer : Bonjour ! Oui bien sûr. J’illustre des comics depuis maintenant environ 10 ans. C’est mon activité à plein temps depuis 5 ou 6 ans. J’ai commencé en publiant dans énormément de fanzines ou des micros publications, pleins de trucs comme ça et j’ai voulu développer des projets plus ambitieux. Alors j’ai commencé Cosmoknigths, qui est à l’origine une web-série. J’y ai consacré tout mon temps, je me levais tôt le matin et j’y travaillais toute la journée et mon éditeur US (NDTR : Top Shelf Productions) l’a repéré et y a trouvé de l’intérêt. Et à partir de là, j’ai eu des propositions pour des épisodes de Buffy et les Vampires, Glow, Les Tortues Ninjas, Tomb Raider, entre autres, et à ce moment-là, il a même fallu que je me mette à bosser la nuit parce qu’il n’était pas question que je lâche Comoknights ! Comme je viens de le dire, vraiment à temps plein ! Mais Cosmoknights, c’est ma première création en solo et c’est pour moi une sorte de « projet-passion ». Ça représente quelque de chose de très spécial pour moi, car très personnel aussi.
Ok alors je te propose de nous en faire le pitch et de nous raconter l’histoire de cette histoire, comment tu as développé l’intrigue, les personnages et son univers…
HT : C’est une histoire qui aborde le thème de l’homosexualité, de la découverte de sa propre orientation sexuelle, dans un contexte SF. Il y a des vaisseaux spatiaux et des Mech Battles. Le personnage principal, c’est Pan (NDTR : diminutif de Pandora), qui est l’amie de la princesse de la planète sur laquelle elle vit, celle-ci étant destinée à se marier après le tournoi qui organise ces grosses batailles. En effet, le vainqueur obtient le droit de se marier à la princesse, mais elle, elle ne veut pas, ce qu’elle veut, c’est décider de la façon dont elle doit vivre. Alors Pan va l’aider à s’enfuir et cette princesse quitte donc cette planète et toutes deux sont obligées de couper les ponts, malgré elles. Les mois passent jusqu’au jour où deux gladiateurs qui forment une de ces équipes qui participent au tournoi, débarquent sur la planète de Pan. La particularité de cette team, c’est qu’elle est formée par un duo de femmes et qu’elles libèrent en secret les princesses après avoir remporté le tournoi, au lieu de les livrer aux sponsors qui organisent les mariages princiers. Pan va vouloir les rejoindre, pour les aider à changer le monde, mais elle va aussi découvrir son orientation sexuelle, en parallèle des aventures qu’elle va vivre.
Hannah, j’ai trouvé que ton histoire avait une morale aussi puissante que symbolique et qu’on peut résumer ainsi : les femmes ne sont pas des trophées…
HT : Mais oui, c’est exactement ça ! Tu sais, ce livre est très personnel. J’y ai mis beaucoup de moi-même car j’ai commencé à l’écrire quand j’ai fait mon coming-out. C’était quelque chose d’important pour moi, je me posais donc beaucoup de questions et l’écriture suivait aussi mon destin personnel car j’avais le sentiment de devoir lutter pour être qui je suis, de me découvrir aussi, tu vois ce que je veux dire. Et je m’identifiais aussi à ce personnage en même temps qu’il m’arrivait tout cela, un peu comme si on suivait toutes les deux le même chemin et qu’on essayait (petite pause)… d’être des féministes j’imagine (elle rit).
Alors permets-moi de te renvoyer que tout ce que tu dis est exprimé de façon subtile dans ton comics, car ce n’est pas une histoire de sexe. Cosmokinights nous parle d’émotions, bien sûr il y a de l’action, mais aussi une dimension politique car ces filles luttent contre des traditions patriarcales…
HT : Oh, merci et tu as tout à fait raison, le sexe n’est pas le sujet que je voulais traiter.
C’est pour cela que tu as choisi de créer un monde certes futuriste, mais qui aborde des valeurs universelles et embrasse aussi des thèmes qu’on retrouve tout le long de l’histoire de l’Humanité ?
HT : Oui, exactement. J’ai voulu créer quelque chose auquel je tiens particulièrement car si les choses changent, pendant très longtemps, les histoires touchant à l’homosexualité étaient en général traitées sous un angle dramatique, ou pour le moins triste. Je parle spécifiquement du coming-out. Moi j’ai voulu mettre en scène une histoire où des filles lesbiennes pouvaient avoir la joie de vivre. Bien sûr elles doivent lutter pour leur condition mais le plus important pour moi, c’était surtout de mettre en avant l’amitié qui les relie, le soutien qu’elles s’apportent, les liens très forts qui les unissent. C’est l’histoire de filles qui sont juste bien ensemble et je crois que c’est ce qui fait que cette BD est chouette.
Voilà donc pour ce premier Tome de la série. Tu peux nous dire combien elle en comptera ?
HT : Oui, ça je peux te le dire ! Je viens à peine de terminer le second volume, la semaine dernière pour être précise, tu vois c’est tout récent. Et j’ose penser qu’il sera publié en France. La publication originale sortira en juin. Il va donc falloir que je m’attelle à la troisième partie, qui sera aussi la dernière.
Je te propose maintenant d’aborder ton graphisme, qui m’est apparu comme un mix de ce qu’on connaît de la narration graphique des comics, mais qui emprunte aussi au manga, en particulier toutes les scènes de Mech Battles. Tu peux nous parler de tes influences ? HT : Oui, absolument, je suis une grande fan de Metal Gear Solid, mon préféré étant celui d’Hideo Kojima. Mais j’ai voulu mettre plus l’accent, pour les graphismes qui s’attachent à la robotique, en les traitant à la façon du Fantastique plutôt qu’en les axant sur l’aspect technique… J’adore aussi les films d’action ainsi que les dessins animés plus « classiques » comme La Planète au Trésor, le Disney, dans lequel on voit des bateaux anciens mais armés avec de nouvelles technologies. Cela m’a beaucoup influencée. Alors j’ai voulu emprunter des éléments de la culture médiévale avec d’autres carrément futuristes et ça fait sens pour moi car le monde dans lequel on vit et à cheval entre la modernité et le poids de valeurs très anciennes, en particulier pour ce qui est du sexisme. Oui, pour moi ça fait sens de les associer pour aussi illustrer les antagonismes qui en résultent ou tout du moins, les contradictions que cela laisse apparaître. Sinon, je lis beaucoup de comics. Enormément de web comics et des indépendants… Là, je parle de comics américains ! Un d’entre eux se nomme The Barberess. Et puis je dois dire que plein de séries de Marvel et DC m’ont aussi profondément influencée.
Peux-tu nous parler de ton futur projet ?
HT : Oh mon Dieu, il y en a tant que je voudrais mener à bien ! Alors il y a évidemment beaucoup de travail de commande. Je pense que je vais travailler les deux prochaines années pour des séries jeunesse publiées par Scholastic, mais mon futur projet personnel, je pense que ce sera à nouveau un webcomic, car j’adore la liberté que ça laisse. Je peux décider de tout. J’ai dans l’idée de… je ne sais pas s’il existe une expression équivalente en français : « seconde adolescence » ? Cela traduit l’idée que, quand tu fais ton coming-out une fois adulte, comme cela a été mon cas, tu revis un truc qui te reconnecte à nouveau avec des émotions similaires à celles ressenties lors de l’adolescence. Alors pour moi cette expérience (j’ai fait mon coming-out à 27 ans), c’était comme si j’étais à nouveau une teenager. Je pensais à nouveau à comment m’habiller, quel look avoir, ce genre de choses… Alors j’ai envie de développer cette idée : parler d’une fille qui se retrouve à nouveau projetée dans le monde imaginaire qu’elle pouvait avoir, avec ses copines, quand elle était enfant, mais en tant que trentenaire divorcée, qui vit avec son chien et qui se reconnecte sa psyché d’enfant, dans un monde Fantasy. Voilà, ce projet me tient à cœur, je le ferai un jour mais c’est pas pour demain non plus !
Hannah, pour conclure, je vais te poser une question un peu spéciale, on peut même dire un peu psycho. Si je te donnais le pouvoir cosmique d’accéder à l’âme d’un artiste ou une personne de ton choix, pour en comprendre le génie, l’inspiration, sa vision du monde, qui choisirais-tu et pourquoi ?
HT : Vivant ou mort ? Ca peut-être n’importe qui ? Oh mon Dieu… (elle rit). C’est vraiment une très bonne question, dis donc !!! Attend, laisse-moi quelques secondes…. Qui voudrais-je connaître à ce point ?... Holala il y en a tellement… Hummm… Je pense que cela serait probablement… (encore quelques secondes de réflexion)… Honnêtement, je choisirais Patricia Highsmith car j’aurais aimé qu’elle continue à écrire ses « Récits intimes ». Certes, c’est une personnalité controversée mais j’aurais adoré la rencontrer car elle a aussi été une autrice de comics, au début de sa carrière et elle a aussi beaucoup milité dans les années 50 en assumant totalement son identité sexuelle (NDTR : elle a pu vivre des histoires intimes avec des hommes et des femmes). Elle n’a jamais voulue être cataloguée et c’était une femme extrêmement brillante et talentueuse. Et tu sais, en lisant ses récits autobiographiques, je me suis découvert pas mal de similitudes avec ses expériences personnelles. Et pour moi c’est très intéressant, même précieux, de savoir que ce type d’expérience est universel et intemporel. Qu’on parle de 50 ans avant ou alors 200 et le ressenti est le même, c’est celui du combat des femmes dans un monde dominé par les hommes. C’est valable aussi pour l’industrie des comics, où les hommes sont nombreux et parmi eux, certains sont sexistes… Oui, cette rencontre imaginaire, elle serait énorme pour moi. Wow !
Merci Hannah !
HT : Merci !
Remerciements amicaux à Nico Mallet et Flo Degletagne pour la mise en relation avec Hannah.
