Les amateurs de BD connaissent sûrement Jean-David Morvan pour sa série Sillage ou l'un de ses très nombreux autres scénarios. Récemment, il a lancé Crime School avec un artiste japonais, Hiroyuki Ooshima. Tous deux s'étaient rencontrés lors de l'élaboration d'une version manga de Spirou qui n'a (malheureusement) jamais abouti. Décidés à concrétiser leur rencontre créative, les deux artistes ont donc lancé Crime School, une série jeunesse hybride plutôt bien fichue. La série atteint aujourd'hui son troisième volet. C'est au début de l'année 2012, lors du festival d'Angoulême, que nous avions eu la chance de rencontrer le duo. Une interview qui aurait du être au format vidéo, si une mobylette insistante n'avaient pas miné son confortable visionnage...
interview Bande dessinée
Jean-David Morvan et Hiroyuki Ooshima
Réalisée en lien avec les albums Crime school T3, Crime school T2, Crime school T1
Bonjour Jean-David Morvan et Hiroyuki Ooshima, pouvez-vous vous présenter ?
Jean-David Morvan : Bonjour, je m'appelle Jean-David Morvan, je suis scénariste de bande dessinée. Ça veut dire que j'écris des histoires de bandes dessinées et j'essaie d'en écrire le plus possible. En tout cas, celles qui viennent et avec des dessinateurs du monde entier. Rencontrer des gens est une chose qui me passionne et il y a du talent partout dans le monde, qu'il serait dommage de pas exploiter. La série la plus connue sur laquelle j'ai travaillé n'est pas une que j'ai créé puisqu'il s'agit de Spirou et Fantasio. Heureusement, j'en ai aussi une de moi qui marche plutôt pas mal, qui s'appelle Sillage. Parmi toutes les personnes que je vais voir à travers le monde, il y a Hiroyuki qui est japonais et que j'ai rencontré grâce à un éditeur qui se nomme Amano-san.
Hiroyuki Ooshima : Bonjour, je m'appelle Hiroyuki Ooshima, je suis dessinateur et mangaka (NDLR : ces propos sont en français !). J'avais 16 ans lorsque j'ai fait mon premier manga pour Shueisha (NDLR : un gros éditeur japonais) et j'ai remporté un prix. Je suis allé à l'Université pour apprendre la littérature japonaise. En parallèle, je faisais de l'illustration et comme ça marchait bien, j'ai arrêté l'Université. Vers 25 ans, j'ai débuté en tant que mangaka et j'ai réalisé six albums. Et ensuite nous nous sommes rencontrés. Nous avons réalisés ensemble une histoire à part de Spirou et Fantasio.
Jean-David Morvan : Et Hiroyuki est venu en France pour que l'on continue à travailler tous les deux.
Comment est né Crime School ?
Jean-David Morvan : En fait, au tout début, nous devions faire un manga Spirou qui était presque signé chez Dupuis. Nous avions prévu 8 mangas, mais les personnes qui se chargeaient de nous ont été remplacé et tout a volé en éclat. Il a fallu trouver un autre concept. J'avais celui de Crime School depuis un moment et ça a plu à Hiroyuki.
Quels sont les retours que l'on vous fait sur Crime School ?
Jean-David Morvan : Les retours des gens qui l'ont lu sont plutôt amusés. Maintenant, c'est difficile pour les éditeurs de savoir comment vendre de la bande dessinée jeunesse. Le fait que le festival d'Angoulême l'ait sélectionné est encourageant. Le deuxième album est terminé et on a déjà attaqué le troisième. Si on peut continuer, on continue. Il restera des aventures, pas forcément des mystères.
Comment va évoluer le héros, Tomoki, par la suite ?
Jean-David Morvan : Il n'est pas là par hasard. On va lui donner une mission importante et pour l'emporter il va devoir s'allier à des méchants pour voir comment ils vont fonctionner. Ce sera plus simple pour lui.
Hiroyuki, quelles sont tes références ?
Hiroyuki Ooshima : Sanpei Shirato qui a fait un manga qui s'appelle Kamui (NDLR : qui est sorti dans la collection Sensei de Kana). Il a fait un magazine presque punk dans les années 70-80, un travail très revendicatif.
Comment collaborez-vous tous les deux ? En japonais ?
Jean-David Morvan : En fait, au début, j'écrivais en français et quelqu'un traduisait pour Hiroyuki. A présent, je continue à écrire en français mais Hiroyuki se débrouille pour traduire tout seul. Cela lui permet de comprendre mieux le français. Il est présent à mi-temps à l'atelier.
Est-ce qu'Hiroyuki peut t'amener des idées de scénario ?
Jean-David Morvan : Sur les 3 premiers, c'était déjà posé mais à partir du 4ème, il y aura cette possibilité pour lui de s'amuser à varier des aventures lorsqu'il aura des idées. Quand on a commencé Crime School, je ne savais pas si ce serait un univers à la DragonBall ou autre et Hiroyuki m'a dit qu'il préférait dessiner des humains. On pouvait avoir un univers complètement fou et ensemble on en a fait un univers compréhensible pour les lecteurs.
Est-ce que selon vous les codes de Crime school pourraient plaire au public japonais ?
Jean-David Morvan : On ne l'a pas encore présenté. Sa force est d'être en couleurs. Aujourd'hui, la majorité des mangas, y compris ceux publiés sur le net ou les téléphones portables, sont en noir et blanc. Aujourd'hui, le manga reste le seul produit d'entertainment en noir et blanc. Je pense que la couleur peut être un atout important à l'avenir pour le manga, puisque cela ne coûte pas plus cher de publier une série en couleur sur le net. Hiroyuki est japonais, donc autant éviter de lui proposer quelque chose qu'il sait déjà faire et lui offrir un défi plus intéressant. On a peu de chance de révolutionner le manga de notre côté, donc autant essayer d'apporter autre chose.
Avez-vous eu des coups de cœur récemment en BD ?
Hiroyuki Ooshima : J'ai relu la série Parasite - Kiseiju et j'adore toujours autant. La série Coq de combat. Ce que fait Nicolas de Crécy. Tout ce que font les gars de l'atelier évidemment (rires). J'adore découvrir la façon dont chacun travaille.
Jean-David Morvan : J'ai bien aimé Fluorescent black. Cela m'a bien plu parce que dans la BD ou le manga, cela manque assez souvent de couilles. C'est un secteur qui a besoin de prendre un coup de fouet, surtout par rapport au jeu vidéo où il y a des titres qui restent dans la tête des gens. La BD a tendance à ronronner un peu. Comme on ne sait plus comment attirer les jeunes, on fait des histoires inspirées de ce qui se faisaient dans les années 80. On est en train de se perdre un peu plus. On ne sait plus comment toucher les jeunes. Au Japon, depuis le tremblement de terre, les éditeurs parlent de faire travailler des auteurs étrangers. Ils veulent faire des choses nouvelles. Le manga est en crise et ils veulent toucher l'international de façon plus volontaire et pas inespérée comme aujourd'hui. Dans la musique ou le jeu vidéo, on ne se dit jamais qu'on va créer uniquement pour son pays. Et pourquoi nous on ne le fait pas ? Nous sommes dans un hiatus où notre lectorat est entre 35 et 50 ans et il suffit d'un été un peu chaud (rires).
Si vous aviez le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre son génie, qui choisiriez-vous et pourquoi ?
Jean-David Morvan : J'irai dans Tezuka parce qu'au niveau scénario et mise en scène, il est arrivé à faire quelque chose de très enfantin ou de très malsain, un mélange étrange qui rend les choses intéressantes. Le manga est devenu bien plus vite adulte que la BD grâce à Tezuka. Ce retard est dû aussi à nos pères fondateurs, comme Hergé, qui avaient d’énormes qualités, mais qui gardaient ce côté gamin. La mise en scène de Tezuka est inventive, s'inspire du théâtre, du kabuki, et elle est probablement due à la rapidité de parution des titres. J'adore L'arbre au soleil et il y en a plein d'autres.
Hiroyuki Ooshima : Je ne me rappelle plus du nom du mangaka, c'est celui d'Ashita no Joe. Je l'ai découvert vers l'âge de 11 ans et cela est resté comme une lecture mémorable pour moi.
Merci messieurs !