L’élève et le maître harmonieusement réunis autour de leur passion commune pour le Japon : la collaboration entre Jean-François Di Giorgio le « vieux » scénariste et Frédéric Genet le « jeune » dessinateur, a débouché sur un premier cycle réussi de Samurai (4 tomes), aux éditions Soleil. Avant d’entamer le second cycle, les auteurs nous ont accordé une cyber-interview. Le temps de partager leur amour pour le pays du soleil levant ou encore la mise en œuvre d’une bataille homérique en triptyque, demandant 15 jours de boulot…
interview Bande dessinée
Jean-François Di Giorgio et Frédéric Genet
Pour faire connaissance, pouvez-vous vous présenter brièvement : votre vie, votre œuvre, comment en êtes-vous arrivés à faire de la BD, comment vous êtes-vous rencontrés ?
Jean-François Di Giorgio : Je fais de la BD depuis un peu plus de 20 ans. J'ai publié une trentaine d'albums. Parallèlement, j'anime les ateliers créatifs BD du CBBD (Bruxelles) depuis 15 ans. C'est là que j'ai fait la connaissance de Frédéric. Ensemble, nous avons d'abord réalisé la série Mygala pour les éditions Nucléa et puis la série Samurai, pour les éditions Soleil.
Frédéric Genet : Mon parcours est assez simple, je dessine depuis que je suis tout petit, et j'ai toujours aimé raconter et illustrer des histoires. J'ai commencé par de nombreuses années en cours du soir dans des académies de dessin et peinture, puis je suis arrivé aux cours de BD de JF à l'âge de 15 ou 16 ans. J'ai fait ensuite des études supérieur de BD à St Luc à Bruxelles (3 ans), et 2 ans plus tard je présentais mon premier projet Mygala.
Pourquoi avoir choisi, pour Samurai, de réaliser une aventure dans un décorum médiéval japonais ?
JFDG : Ce n'est pas évident pour tout le monde, mais pour nous, le Japon c'est un peu plus qu'un décorum. Nous aimons vraiment le Japon. D'ailleurs pour mieux nous immerger dans leur culture, nous avons fait un voyage là bas (Tokyo, Osaka, Kyoto), durant lequel nous avons fait un repérage en vue des prochains albums.
Fred : Oui, ça s'est plutôt passé dans l'ordre inverse : l'histoire est née de cette ambiance japonaise que nous aimions tant. Ce n'est donc pas comme si nous avions une histoire toute faite que nous avions choisi de transposer dans un univers donné, juste pour le look. Nous aimons vraiment beaucoup le Japon, sa philosophie, ses mœurs, son esthétique, etc. Et tout est parti de là. Il serait d'ailleurs impossible de raconter cette même histoire dans un autre contexte, sans changer radicalement nombre de séquences et de détails.
Comment travaillez-vous ensemble ? (story-board ? allers-retours ? qui décide quoi ?)
JFDG : Ça dépend. C'est diffèrent d'une collaboration à l'autre. Pour certains dessinateurs, je fournis un scénario complet de 46 pages, « clé en main », avec les dialogues, les descriptions, les indications de mise en scène, etc. Avec Fred, c'est différent. Fred est un ami de plus de douze ans et nous avons énormément de plaisir à travailler ensemble. Nous discutons beaucoup et il n'y a jamais la moindre tension entre nous. Nous échangeons beaucoup avant et pendant la rédaction du scénario et normalement, tous les éléments qui pouvaient poser problème sont abordés durant cette période. Je fais ensuite le découpage complet de l'album et Fred m'envoie le story-board. C'est un vrai travail d'équipe. Le plus important ce n'est pas de mettre en avant le travail de Fred ou de JF. Le plus important c'est de faire un bel album…
Fred : D'ailleurs Jean-François intervient beaucoup dans la réalisation des planches, tant au niveau du story-board où il me propose des cadrages, des ambiances, des décors, qu'au niveau du crayonné, où il pointe parfois du doigt certains détails de mise en page ou de lisibilité que je corrige avant de passer à l'encrage. Le principe est simple : il y a plus dans 2 cerveaux que dans 1…
Les récits de sabre sont actuellement porteurs (depuis les films chinois d'Ang Lee et Zhang Yimou). A l'exception du démon, pour Samurai vous vous êtes affranchis des « effets » fantastiques du genre (les persos qui se déplacent en volant…). Est-ce pour vous distinguer de la culture chinoise ?
JFDG : Le souci est de ne pas mélanger tous les genres. Dernièrement, au Japon, quelqu'un nous a fait remarquer que d'habitude dans les BD dessinées par des européens et traitant du Japon, toutes les cultures étaient mélangés (influences japonaises, chinoises, coréennes, etc.). Mais pas dans Samurai. Pour nous, c'était un beau compliment !
Fred : Oui, comme dit plus haut, ce qui nous attire vraiment c'est le Japon ! Nous nous sentons beaucoup plus proches des films de Kurozawa que de ceux d'Ang Lee. Et le Japon est très différent du reste de l'Asie (d'ailleurs, eux-mêmes ne se disent pas « asiatiques » mais bien « japonais », et nous essayons de marquer aussi cette différence dans nos récits).
Vous êtes donc allés au Japon pour l'immersion dans la culture nippone ?
JFDG : Comme je le disais plus haut, on en revient. C'était génial !
Fred : En effet, nous espérons sincèrement enrichir la série par cette expérience unique. En fait, la difficulté sera même plutôt de ne pas ralentir la lecture par notre envie d'intensifier cette ambiance japonaise jusque dans les moindres détails !
Comment abordes-tu les décors et les personnages dans Samurai ?
Fred : Avec calme et patience ! Enormément de recherches documentaires sont nécessaires avant d'entamer une planche. Ça change de la SF où on peut faire ce qu'on veut.
Dans les annexes du tome 4, tu reviens sur cette fameuse frise panoramique de 3 planches… C'est impressionnant ! Qu'est ce qui t'a pris ? C'est pour l'amour de l'art ou du lecteur ?
Fred : Je ne sais pas ce qui m'a pris, en fait ! (rire) C'était d'abord une volonté de clôturer la bataille mise en place dans les tomes précédents de façon plus impressionnante que ce qu'on avait déjà fait avant. En effet, des grandes doubles pages de combat, j'en avais déjà fait. Donc pour donner l'impression d'arriver à l'apogée, il fallait agrandir le format. Mais c'était aussi une sorte de défit personnel : serais-je capable d'aborder une planche de BD comme une grande fresque monumentale de bataille rappelant des peintures ou des estampes classiques fourmillantes de personnages et de détails ? C'est fait ! J'espère que les lecteurs apprécieront. C'est aussi une façon pour moi de leur offrir quelque chose de plus et de différent par rapport aux autres BD.
Combien de temps pour ce triptyque ?
Fred : Deux semaines complètes.
Est-ce quelque chose que tu aurais envie de recommencer ?
Fred : Pas de sitôt, non ! (rire)
Es-tu vert que Philippe Xavier et Jean Dufaux réalisent la chose sur 4 planches à chaque tome de Croisades ?
Fred : Non du tout. D'ailleurs notre exploitation de ce format hors-norme me semble assez différente. Comme je le précise dans les commentaires du carnet de croquis qui suit l'album, j'ai voulu éviter, pour une fois, les facilitées du genre : 2 ou 3 guerriers en grand à l'avant-plan avec quelques silhouettes à l'arrière-plan pour faire nombre et de la fumée pour remplir. Ici, j'ai vraiment voulu retrousser les manches et marquer le coup. La scène de combat est vue en semi-plongée et donc tous les personnages ont la même taille et sont bien visibles. Je ne les ai pas comptés, mais il y en a un bon paquet ! En fait, l'idée de ce format vient justement de Philippe Xavier. Nous nous étions rencontrés alors qu'il terminait sa première quadruple dans Croisade tome 1. Je trouvais l'idée intéressante et je ne savais pas que ce genre de chose pouvait se faire à la fabrication. J'ai donc attendu le tome 4 pour la placer de façon idéale.
Encore plus fort la prochaine fois : 5 planches ?
Fred : Non, ce n'est pas quelque chose que j'ai envie de faire systématiquement, il faut avant tout que le scénario s'y prête. Mais peut-être un jour, pourquoi pas. En fait, pas mal de choses hors-normes sont faisables à la fabrication. Mais il faut que ça reste avant tout de la BD et donc « lisible » dans la continuité, c'est l'essentiel !
L'entrée en matière de ce tome 4 est également splendide… Tu fais beaucoup de recherches documentaires ?
Fred : Oui, si on veut un minimum de cohérence la recherche documentaire est essentielle. Même si au final, je compose beaucoup à partir de ces documents. Trouver l'image qui illustre parfaitement les propos de l'histoire et les envies graphiques est pratiquement impossible. Il faut donc seconder toute cette documentation par pas mal d'imagination aussi.
Si tu avais une gomme magique, est-ce que tu l'utiliserais pour retoucher quelque chose à l'un de tes albums post-parution ?
Fred : Oui, pratiquement tout ! En fait, je n'arrive pas à relire mes albums quand ils sont parus, pour deux raisons : ils m'ennuient parce que je les connais par cœur, et je n'y vois que les erreurs de dessins. Ça m'énerve profondément !
A part pour quelques albums collectifs, tu n'as jamais travaillé qu'avec Jean-François. C'est l'amour ?
Fred : Notre collaboration est idéale, on partage nos idées et on crée à 2 en s'amusant. Et en plus ça marche et on peut en vivre ! C'est très facile et confortable de travailler dans ces conditions, donc pourquoi changer ?
Jean-François, ça fait longtemps que tu scénarises dans le milieu de la BD. A part Shane, qui compte 5 tomes, considères-tu que Samurai est ta série majeure ?
JFDG : Le fait que le public soit au rendez-vous pour cette série me fait hyper plaisir. Tout comme je prends du plaisir à réaliser cette série avec Fred. On s'entend bien. On est amis. On a des automatismes. Souvent les mêmes influences, les mêmes goûts… Pourquoi changer ? On ne comprend pas bien les scénaristes et les dessinateurs qui changent de collaborateurs comme de chemises. En fait, notre fonctionnement est assez proche de celui d'un groupe de musique…
Curieusement, tu as également signé les couleurs du premier tome d'Intox… et puis plus rien en matière de colorisation. Un essai ? Un coup de main ?
JFDG : Dans le cadre de mon activité d'animateur des ateliers créatifs BD, j'apprends aux stagiaires toutes les bases d'une BD. Scénario, dessin, et …couleurs ! Il était donc important pour moi de réaliser un album couleur pour montrer à mes stagiaires que je savais de quoi je parlais. Dont acte ! ( rires !!!)
Changeons de sujet, le temps d'une courte parenthèse : Eden killer, qui demeure pour le moment quelque peu énigmatique… Saura-t-on au tome 3 le sens des expériences scientifiques russes et la logique des combustions spontanées ?
JFDG : Oui, oui, même si vous avez l'air d'en douter, il y a bien une explication cohérente à tous ces mystères !
Combien de tomes sont-ils prévus pour cette série ?
JFDG : Trois tomes !
Comment se passe la collaboration avec Cristina Mormille ?
JFDG : Très bien. Même si Cristina (qui est italienne) avait un peu de mal au début avec le français, elle a toujours compris clairement les objectifs fixés. Aujourd'hui son français s'est beaucoup amélioré, notre collaboration s'en trouve facilité. Je suis bluffé par son dessin, clair, dynamique…
Pour revenir sur le dernier Samurai, les démons japonais sont-ils solubles dans l'eau ?
JFDG : Hi hi ! Oui. On vient d'inventer le concept du « démon effervescent ». Pas mal, non ?
Personnellement, j'ai senti un « p'tit coup de mou » sur le tome 3. C'était le calme avant la tempête ?
JFDG : C'est ca, le calme avant la tempête.
Le premier cycle de Samurai terminé, vous confirmer que vous continuez la quête du frère de Takeo à travers un second cycle ? Combien de tomes sont-ils prévus ?
JFDG : Oui, le prochain cycle sera un cycle court en 2 tomes, assez dense, dont je termine l'écriture.
En dehors de Samurai, quels sont vos projets, ensemble ou séparément ? Par exemple, y aura-t-il un tome 3 à Mygala ?
JFDG : Oui, il y aura bien un tome 3 à Mygala. Le scénario et le story-board sont terminés depuis pas mal de temps. Il y a 15 pages encrées et plusieurs crayonnés en cours. Nous ne pouvons pas encore donner de date de sortie pour l'instant, mais l'aventure continue et se terminera avec ce tome 3.
Globalement, quelles sont vos influences (musique, ciné, BD, littérature…) ?
JFG : La question est trop vaste pour y répondre. Elles sont multiples et diverses. Parfois le fruit du hasard, d'ailleurs…
Fred : Vraiment de tout ! En musique, ça va du jazz à l'orchestre Klezmer, en passant par l'électro ou le rock. En cinéma pareil, du film intimiste au gros blockbuster américain qui défoule. En BD, je suis un peu plus sélectif, je préfère les récits plus sensibles et centrés sur des personnages, plutôt que la BD d'action pure. J'aime beaucoup le catalogue de Futuropolis par exemple.
Si vous étiez un bédien (un habitant de la planète BD), quelles seraient les BD que vous auriez envie de faire découvrir aux terriens ? (soit vos dernières bonnes lectures, soit vos albums cultes)
JFDG : Dernièrement, j'ai adoré Trois ombres de Cyril Pedrosa chez Delcourt. Un peu avant, j'ai bien aimé le tome 5 du Marquis d'Anaon de Vehlmann et Bonhomme.
Fred : Pauvres Zhéros de Baru, Vagabond de Inoue, Le complexe du chimpanzé de Marazano et Ponzio, La Marie en plastique de Rabaté et Prudhomme, Construire un feu de Chabouté…
Si vous aviez le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur (scénariste ou dessinateur), qui choisiriez-vous d'explorer et pour y trouver quoi ?
JFDG : Pierre Christin, Serge Letendre, Xavier Dorison, bref ! Que des « tops » scénaristes, comprendre comment ils fonctionnent. Ça serait génial ! Fred : Baru, Bisley, Inoue, Rabaté, Guarnido, Goossens, Gibrat, Levallois… pour y trouver tout ce qui fait que je me sens vraiment nul à côté d'eux.
Merci à tous deux, Sayonara !