interview Comics

Josh Neufeld

©Çà et là édition 2015

L'univers de la bande dessinée américaine ne se limite pas qu'aux seuls récits de super-héros. Depuis près de 50 ans, des artistes investissent le 9ème art à coup de récits engagés et autres romans graphiques. Josh Neufeld a côtoyé l'un des papes du genre, Harvey Pekar, et a conservé l'envie de raconter les choses telles qu'elles lui semble être. Après un passage sur American Splendor, le dessinateur n'a pas hésité à s'emparer d'un drame comme les ravages de l'ouragan Katrina pour concevoir un album poignant et réaliste, à la façon d'un journaliste. Dernièrement, c'est en compagnie de l'une d'elles, Brooke Gladstone qu'il a décidé de parler des médias et de leur pouvoir d'influences auprès des masses populaires. Venu rencontrer les lecteurs qui ont accueilli ce dernier ouvrage avec une ferveur certaine, Josh Neufield a pris le temps d'évoquer avec nous son approche artistique et son engagement. Nous sommes donc passés chez Josh !

Réalisée en lien avec les albums La machine à influencer, A.D.
Lieu de l'interview : Festival d'Angoulême

interview menée
par
3 août 2015

Bonjour Josh Neufeld, peux-tu te présenter et nous dire comment tu as commencé à travailler dans l'industrie des comics ?
Josh Neufeld : [NDT: en français] "En français ou en anglais ?" Non, non, je plaisante ! [rires] Je m'appelle Josh Neufeld et je suis un dessinateur non-fictionnel. Tout ce que je dessine se fonde sur le réel : les événements historiques, les histoire tirées de journaux, etc. Je travaille dans les comics depuis... probablement plus de 25 ans, maintenant. J'ai été dessinateur sur le American Splendor de Harvey Pekar, j'ai aussi fait un album intitulé A.D.: La Nouvelle-Orléans après le déluge et j'ai illustré La machine à influencer, de Brooke Gladstone.

Josh Neufeld La machine à influencer La première fois que j'ai vu tes dessins, c'était sur American Splendor. Comment vois-tu la collaboration avec Harvey Pekar, aujourd'hui ?
Josh Neufeld : Illustrer le travail de Harvey Pekar sur American Splendor a été très important pour mon développement artistique. Son travail était lui-même extrêmement important vis-à-vis du développement des œuvres autobiographiques et non-fictionnelles dans le comics. Et de pouvoir travailler avec un auteur qui avait compris le format du comics de façon si explicite et qui employait celui-ci d'une manière si inhabituelle, cela m'a appris beaucoup de choses sur l'élaboration des comics. J'ai aussi été très inspiré par le fait de travailler avec lui, de voir comment il choisissait ses sujets et ses histoires. ça a été un honneur de pouvoir travailler avec un auteur ayant collaboré avec des illustrateurs comme Robert Crumb, Joe Sacco et d'autres dont j'admire énormément le travail. Rejoindre cette longue lignée, pour le jeune dessinateur que j'étais, c'était très important et ça m'a aidé dans mon travail en solo mais aussi dans mon travail en collaboration avec d'autres auteurs.

En France, on t'a découvert avec A.D.: La Nouvelle-Orléans après le déluge. Comment as-tu conçu cet album ?
Josh Neufeld : L'histoire de la Nouvelle-Orléans et de l'ouragan Katrina me tenait à cœur car, en tant qu'américain, c'était si destructeur, d'un point de vue existentiel, de voir ce qui pouvait arriver à une des grandes villes américaines. On n'était pas convenablement préparés à ce type d'événement. Le gouvernement a échoué dans sa mission et ce sont les citoyens qui en aidant à sauver et à évacuer les rescapés qui ont aidé. Le gouvernement, de bien des manières, n'a fait qu'empirer la situation. Ils ont évacué des gens en direction de refuges qui n'étaient pas opérationnels et qui ont par la suite été submergés par le chaos et la négligence et où les individus ont fini par se battre pour leur survie. Ma première réaction, face à cette catastrophe et en tant que citoyen américain, a été de me porter volontaire auprès de la croix-rouge et je me suis rendu sur place en tant que sauveteur. A la suite de ça, à travers les rencontres que j'ai pu faire là-bas et mon expérience personnelle, j'ai décidé de réaliser un traitement non-fictionnel de la catastrophe, fondé sur les témoignages Josh Neufeld American Splendordes personnes l'ayant vécu. On parle de personnes issues de tous les horizons, de toutes les classes sociales. Parmi les témoignages les plus poignants, il y a ceux des personnes ayant perdu tout ce qu'elles avaient et qui ont du reconstruire toute leur vie à partir de rien, ceux des survivants qui ont du alors trouver le moyen de s'en sortir, au milieu des flots, et aussi ceux des habitants qui sont resté et ont travaillé à la reconstruction de la ville. Ces histoires m'ont intéressé et on trouvé une vraie résonance en moi. J'ai donc voulu raconter ces histoires de vrais gens, de A à Z, pas du point de vue de Bush, de l'administration, du gouverneur ou du maire. Et je crois que cela m'est venu de mon expérience avec Harvey Pekar et de mon propre travail autobiographique en comics. C'est comme ça que j'ai voulu aborder l'histoire de A. D. : je suis allé à la rencontre de personnes dont l'histoire s'accordait à la narration que j'avais en tête, je les ai interviewés, je me suis rendu sur place à de nombreuses reprises et j'ai réalisé le comics à la manière d'un serial avec un nouveau chapitre chaque mois. On les a progressivement mis en ligne et, au bout d'un moment, j'en avais suffisamment pour en faire un livre. Et voilà.

Après ça, tu as continué avec La machine à influencer, avec Brooke Gladstone. Comment as tu rejoins ce projet.
Josh Neufeld : Pour La machine à influencer, on avait déjà mentionné mon nom à Brooke Gladstone. Elle avait entendu parler de A. D. - ça venait de sortir ou ça en était en tous cas sur le point - et elle connaissait mon expérience et ma réputation. Elle m'a contacté directement. Elle avait déjà en tête l'idée de mettre en comics son manifeste sur sa vision du journalisme et des médias. Elle a sa propre émission de radio, aux Etats-Unis et elle traite des médias avec son point de vue, celui d'une personne en faisant partie. Elle avait beaucoup à dire et elle trouvait que les comics était très similaire à la radio. Pour elle, la radio est un média intimiste où l'auditeur a l'impression que l'animateur s'adresse directement à lui et elle pense que les comics ont un effet similaire dans le sens où, quand on lit un comics, on a l'impression d'avoir une conversation avec les personnages. Passer son travail sous la forme d'un comics était donc bien une idée à elle et c'est elle qui est venue me trouver du fait de mes travaux précédents sur le journalisme et de mes expériences précédentes avec d'autres auteurs. Les choses se sont ensuite enchaînées. On a Josh Neufeld AD La machine à influencer trouvé des éditeurs auxquels on a pitché le concept - d'ailleurs de nombreux éditeurs ont exprimé un intérêt - et on en un trouvé un avec lequel on se sentait à l'aise. Elle a rédigé le script et je l'ai illustré .On a beaucoup échangé durant ce - long - processus de développement et je crois qu'elle est très satisfaite du résultat final. Moi, j'ai beaucoup appris sur le journalisme. Quand j'illustrais ce livre, j'avais l'impression de suivre un cours de fac sur le journalisme.

Dans La machine à influencer, il y a de nombreux détails. Comment as-tu choisi telle ou telle approche ?
Josh Neufeld : En fait, même si Brooke n'avait jamais écrit pour un comics auparavant, elle avait déjà lu le Understanding Comics de Scott McLoud, Maus de Spiegelman et aussi lu de nombreux autres comics non-fictionnels et autres graphic novels reconnus comme Logicomix. Elle savait donc assez bien comment employer les images pour transmettre l'information et elle était déjà en position avantageuse en tant qu'auteur. Mon job consistait alors à cristalliser certaines de ces idées, de m'assurer qu'il n'y en n'ait pas trop sur une même planche ou ,parfois, de centrer le message sur une case centrale, pas plus. Il lui arrivait de concevoir des plans contenant des centaines de personnage et je lui disait alors "ce serait peut-être mieux avec un seul personnage pour que le lecteur se concentre sur le texte" [rires] Je voulais éviter que l'illustration ne porte préjudice au message qu'elle s’efforçait de transmettre. Ce qui était le plus important, pour moi, était de lui donner un avatar, un personnage sympathique avec lequel le lecteur puisse se sentir à l'aise et qui puisse l'aider à naviguer au milieu d'un ensemble de notions et d'idées complexes.

As-tu le temps de travailler sur de nouveaux projets ? Si oui, quels sont-ils ?
Josh Neufeld : Oui. Mon projet le plus récent est une collaboration avec un journaliste de Al Jazeera America, une chaîne d'information aux Etats-Unis. C'est un graphic novel qui s'intéresse au traitement global des données par le biais de boutiques, de sites web, de nos téléphones, du GPS, de Google... Toutes ces choses qui nous suivent et déterminent nos profils suivant les données Josh Neufeld American Splendorqu'on leur transmet volontairement. C'est un concept difficilement assimilable pour beaucoup de gens que l'on s'est efforcé de concrétiser et de visualiser. On emploie le concepts de "points de données" qui apparaissent graduellement suivant les différentes façons que l'on transmets des bribes d'information nous concernant et aussi la façon dont ces points sont reliés suivant des méthodes assez tordues et dérangeantes, comme ces jeux pour les enfants où l'on relie les points. On a souvent utilisé cette métaphore, dans le comics. Et, un autre truc sympa dans ce comics, c'est qu'avec ce journaliste, nous sommes allés rencontrer et interroger ensemble des experts, des universitaires, etc. J'en ai profité pour nous dessiner et nous incorporer dans le récit. On a écrit le script ensemble et j'ai illustré le tout. C'était une expérience immersive et très intéressante. C'est un comics auquel j'ai pu contribuer, sur le plan de l'écriture, bien plus qu'avec La machine à influencer.

Comment décrirais-tu ton style ?
Josh Neufeld : Bonne question. Je dirais que ma plus grande influence est Joe Sacco. Je le vois comme ayant défini le genre de "journalisme comics" comme on appelle ça aux Etats-Unis. Il en sera toujours, pour moi, le plus grand instigateur. Mais je crois qu'on assiste à l'émergence d'une nouvelle vague de "journalistes comics" : des gens comme Sarah Glidden, Susie Cagle, Matt Bors, moi-même, Josh Kramer, Dan Archer... Beaucoup de gens aux Etats-Unis. Guy Delisle, aussi, fait partie de ce mouvement, je crois. Et chacun de nous a une approche particulière de cette combinaison des comics, de l'illustration et du journalisme. Certains d'entre nous sont plus intéressés par l'aspect du rendu artistique de la non-fiction tandis que d'autres se penchent plus sur le côté journalistique. Chacun doit trouver l'approche qui lui convient entre ces deux aspects et qui lui permet de relater des histoires au plus proche de la vérité. Il faut cependant se garder de reconstituer strictement la réalité, au risque d'empêcher le comics de fonctionner comme tel. Pour Josh Neufeld La machine à influencer bien fonctionner, un comics, en tout cas de mon avis, doit mélanger l'action et les dialogues, que des choses se produisent à l'image, mais pas avec un personnage assis en train de parler. Quand je réalisme un comics de journalisme, trouver cet équilibre est toujours le point le plus difficile.

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur ou artiste pour en comprendre le génie, qui irais-tu visiter ?
Josh Neufeld : Oh, c'est facile, pour moi. Hergé, bien entendu ! [rires] C'est le premier auteur dont j'ai lu les bandes dessinées et j'ai lu chaque album dont on pouvait trouver une traduction en anglais. Quand j'étais jeune, il était encore parfois difficile de trouver des Tintin traduits mais j'ai fini par tous les trouver. J'adore ce mélange de récits compliqués mais néanmoins accessibles à tous les âges, l'humour qui combine aventure et enthousiasme, le fait aussi qu'il soit journaliste [rires], son chien... Mais le style en ligne claire, aussi, le niveau de détail au sein de chaque case, des couleurs magnifiques. ça a toujours été le comics parfait, à mes yeux. Hergé avait compris la bande dessinée à un point que beaucoup, aujourd'hui encore, n'arrivent pas à atteindre. Et ça contraste tellement par rapport aux comics de super-héros, c'est si différent ! Quand j'étais petit, je voulais dessiner des super-héros mais j'ai perdu mon intérêt envers ceux-ci. Puis j'ai découvert Hergé et ça a été un tremplin pour moi. Peut-être qu’aujourd’hui les gens ne voient pas le lien très fort existant entre mon dessin et celui d'Hergé parce que j'encre au pinceau et que mon style est plus américain mais au plus profond de moi, je me dis toujours que je pille Hergé quand je dessine. J'aimerais pouvoir remonter le temps, me trouver dans son studio et comprendre ce que, lui, comprenait.

Merci Josh !

Remerciements à Alain Delaplace pour la traduction médiatique !.

Josh Neufeld