Quittant son Japon natal, Junko Kawakami a déménagé en France en 2004. Et lorsqu’une mangaka japonaise vient vivre à Paris, le choc des deux cultures est l’occasion de faire naître des mangas à la fois drôles et touchants sur ce sujet si riche en possibilités. L’un d’eux s’intitule It’s your world et paraît aujourd’hui en France chez Kana. Les bédiens ont donc profités de Japan Expo 9 pour s’entretenir (en franponais) du sujet avec cette expatriée du 9ème art.
interview Manga
Junko Kawakami
Bonjour. Pour commencer, pouvez-vous présenter votre parcours ? Comment avez-vous découvert le manga et comment êtes-vous devenue mangaka ?
Junko Kawakami : Quand j’étais petite, je lisais des mangas et je regardais aussi des animés, j’aimais beaucoup ça. Au collège et au lycée, j’aimais aussi la musique. J’étais plutôt une enfant un peu renfermée et pas très joyeuse et, malgré tout, je continuais à dessiner des mangas. Après le lycée, je suis rentrée dans une école spécialisée en design et, à l’époque, on faisait aussi des fanzines. Après cette école, j’ai commencé à travailler dans une agence de design mais j’ai été licenciée car j’étais partie en voyage 3 semaines à Bali. Après ça, j’ai une amie qui m’a introduite à l’auteur Takaguchi Satosumi qui a fait Hana no Asuka gumi, c’est assez célèbre au Japon (NDLR : série en 27 volumes, non éditée en France), et je suis devenue son assistante. C’est lui qui m’a présentée une maison d’édition et c’est comme cela que j’ai débuté ma carrière de mangaka dans les magasines.
Comment avez-vous rencontré votre éditeur français, Kana ?
J’ai eu mon enfant et j’ai trouvé un baby-sitter qui m’a dit un jour qu’il gardait aussi d’autres enfants d’une famille qui travaillait dans une maison d’édition qui éditait des mangas. C’est cet ami baby-sitter qui m’a présenté quelqu’un de chez Dargaud.
Êtes-vous publiée dans d’autres pays ?
Ginga girl Panda boy a été traduit en anglais et se vend dans les pays anglophones.
It’s your world parait uniquement en France et au Japon ?
Ce n’est pas encore paru au Japon mais cela sortira bientôt.
Combien de temps mettez-vous par chapitre ?
A peu près 1 an.
Combien de tomes sont prévus ?
2 tomes pour le moment.
De quoi dépendra le nombre de chapitres ? Le fait que cela plaise ou non aux lecteurs ?
Ce n’est pas de savoir si cela plaît au public ou non, c’est une question de contenu. C’est plutôt comment ça évolue : si mon histoire est quelque chose d’appropriée pour 2 tomes, j’arrête au bout de 2 tomes. Mais si l’évolution de l’histoire nécessite plus de volumes, alors j’en ferai plus. Cela dépend de mes sentiments ou de ma motivation par rapport à l’évolution de l’histoire.
Comment se déroule votre travail ? C’est un problème d’être en France et de travailler pour un éditeur au Japon ?
D’habitude la communication se passe par mail. Pour les mangas publiés dans les magazines, j’envoie par fax mon idée de départ et je commence les planches lorsque je reçois le feu vert de mon éditeur. Normalement, je les envoie 3 jours avant la dead line. J’amène mes planches chez un transporteur spécialisé dans l’international qui les envoie alors en 2 jours au Japon.
Qu’est-ce qui vous a poussée à venir vivre en France ?
Quand j’étais au Japon, j’avais déjà un peu le rêve de vivre dans un pays étranger et je faisais déjà des voyages assez longs. J’ai fait un jour un voyage toute seule en Espagne et en France, et c’est là que j’ai rencontré mon futur mari. On a communiqué pendant un an par mail et on faisait des allers-retours entre nos deux pays. A un moment donné, il m’a proposé de venir vivre avec lui en France et j’ai parlé de ce projet à mon éditeur qui a fini par me proposer une série de mangas qui raconte ma vie en France. C’est comme ça que j’ai décidé de venir vivre ici car j’avais la sécurité du travail.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué en arrivant ?
J’étais très étonnée du tempérament des français qui sont très honnêtes, très fidèles à leurs sentiments. Ils n’ont absolument pas deux faces. Quand on vient du japon et qu’on voit par exemple l’attitude assez malpolie des vendeurs dans les boutiques en France, c’est très surprenant, voire même choquant. Je me suis même posée la question de savoir ce que j’avais fait de mal. Quand ils sont de mauvaise humeur, les vendeurs le montrent très honnêtement.
Avez-vous subi un vrai choc des cultures ou cela est-il quelque chose de facile à surmonter ?
L’attitude des vendeurs dans les boutiques, je m’y suis habituée car je me suis dit que ça se passe comme ça ici. J’avais déjà fait des voyages dans des pays étrangers et je savais que ca ne se passait pas comme au Japon où le client est considéré comme un dieu. Cela fait 5 ans que je vis ici. Plus j’y vis, plus je ressens les choses autrement. Mais il y a toujours une différence dans la manière de penser. Par exemple, avec des japonais, je n’ai pas besoin de dire ce que je pense pour qu’on me comprenne, alors que dans la culture française il faut vraiment dire ce que l’on pense avec des mots. C’est vrai qu’aujourd’hui je ressens encore ce décalage. Il y a cette tendance au Japon mais c’est plus flagrant en France.
Qu’est ce qui vous plaît le plus en France ?
Le fait qu’il n’y ait pas d’humidité en été.
Et ce qui vous plaît le moins ?
La pollution.
Qu’est ce vous ne trouvez pas ici que vous aviez au Japon et qui vous manque ?
Quand je suis venue ici en été, j’ai cherché une couverture avec un tissu de serviette, c’est très courant au Japon mais je n’en ai pas trouvé ici. J’ai même cherché du tissu dans les magasins pour en faire moi-même… En été, au Japon, comme il fait très humide, nous avons ce genre de drap car cela ne colle pas, ce n’est pas épais et ce n’est pas trop chaud. C’est comme une immense serviette. Encore aujourd’hui cela me manque.
Comptez-vous rester pour toujours en France ou voudrez-vous retourner vivre au Japon un jour ?
Pour l’instant, on va vivre un certain temps en France. Mais, avec mon mari, on parle d’éventuels séjours d’un ou deux ans ou même quelques mois au Japon. Voire même en dehors du Japon, pourquoi ne pas vivre en Espagne ou en Angleterre.
On se doute qu’il y a une partie autobiographique dans cette histoire. Quelle est la part de vécu dans ce titre ?
Oui, quelque part il y a mon propre vécu mais, comme le personnage principal est un garçon de 13 ans, cela vient aussi de mon imaginaire.
Le héros de la série, Hiroya, a du mal à s’intégrer au début. Cela a été votre cas ?
Je suis venu en France de mon propre choix et je n’avais donc pas le droit de me plaindre. Alors que lui a été forcé de venir. Mais comme c’est un jeune garçon, une fois qu’il s’habitue et qu’il s’intègre, cela va très vite. Finalement, je m’intègre moins vite que lui.
Quel est le rapport entre « It’s your world » et « Pari Pari Densetsu » ? Ce second titre est-il une version plus « japonaise » de la même histoire ?
Pari Pari Densetsu n’est pas la version japonaise de cette œuvre, il s’agit complètement d’autre chose, un manga de strips humoristiques en quatre cases sur ma vie. It’s your world est paru uniquement en France.
Verra-t-on cette œuvre là en France ?
J’espère mais je ne sais pas si c’est assez drôle pour les français. Ca se moque un peu de la France.
Vous en avez déjà parlé avec Kana ?
Oui.
Ont-ils l’air intéressé ?
Moyennement.
Dans une autre de vos œuvres, Ginga Girl Panda Boy, vous parlez déjà de différences de culture et de problème d’intégration, c’est un thème qui vous touche particulièrement ?
Je pense que l’un des thèmes que j’aime bien est la quête de la place de soi : « est-ce bien là où je dois être ? » .Cette quête de la place est un thème récurent auquel je tiens beaucoup.
Connaissez-vous des auteurs français, américains ou autres ? Quel regard portez-vous sur la BD du reste du monde ?
Je ne connais pas beaucoup la BD étrangère mais j’apprécie beaucoup le travail de l’auteur américain Daniel Clowes, qui a fait Ghost World, ou des auteurs français comme Moebius ou Vanyda (Celle que… je ne suis pas) dont les œuvres sont éditées par Dargaud. Le point très différent entre le manga et la BD étrangère est que, par exemple dans les mangas, les yeux sont décrits très grands et déformés alors que les dessins étrangers sont beaucoup plus réalistes. Surtout, je suis toujours impressionnée par la qualité des dessins, par leur expression réaliste.
Pouvez-vous citer un titre ou un auteur en particulier, Japonais ou non, qui vous a fortement marquée ?
Quand j’étais petite, je lisais beaucoup les œuvres d’Osamu Tezuka que mes parents m’achetaient, surtout Phénix. Même si je ne comprenais pas toute l’histoire, je sentais que cette œuvre me stimulait. Je pense qu’il y a dans les œuvres de Tezuka un aspect érotique - qui n’est absolument pas obscène - même dans les dessins très mignons, et cela m’a beaucoup marqué dans mon enfance. Je lisais aussi des shônen mangas et je regardais beaucoup de dessins animés. J’aimais particulièrement Urusei Yatsura (NDLR : Lamu).
Si vous aviez la possibilité de revenir dans le passé pour corriger une partie de votre oeuvre, est-ce que vous le feriez ?
Si je commence, la liste peut être longue. Évidemment, j’ai beaucoup changé de style de dessin et je voudrais modifier certaines choses. Mais je pense qu’une fois que mes mangas sont publiés et qu’ils partent de chez moi, leur destin est dans les mains des lecteurs. C’est comme ça que je vois les choses.
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée, ou que personne n’a pensé vous demander, et que vous aimeriez que je vous pose ?
Je ne sais pas… « Quel est le but de ma vie ? »
Et la réponse est… ?
Je ne sais pas… monter en haut de l’Everest. Ne publiez pas ça ! (rires)
Et vous, avez-vous une question à nous poser ? Ou un message à faire passer aux lecteurs ?
Ca aussi, si je commence avec les questions que je voudrais poser, il y en aurait beaucoup. J’aimerais surtout demander aux lecteurs s’il y a des choses qu’ils n’ont pas comprises.
Certains vous en ont parlé durant les séances de dédicace ?
Non, ils m’ont posé des questions comme « cela fait combien de temps que vous vivez en France ? » ou des questions du même genre, mais c’est tout.
Merci beaucoup !
Merci !
Merci à Kana et à Shôko Takahashi pour la traduction !