interview Comics

Kieron Gillen, Jamie McKelvie & Matt Wilson

©Glénat édition 2016

The Wicked + The Divine risque probablement de figurer parmi les meilleurs comics publiés en 2016 dans la langue de Molière. Oeuvre atypique et ambitieuse, la série montre des qualités narratives et visuelles étonnantes. Déjà responsables de la série Phonogram (que publiera en 2017 Glénat Comics) et du <>Young Avengers période Marvel Now, le scénariste Kieron Gillen, le dessinateur Jamie McKelvie et le coloriste Matt Wilson ont répondu présent à l'invitation de leur éditeur pour y célébrer les premiers retours très positifs touchant le premier album et ce, durant la Comic Con Paris. Découvrez un entretien assez long et plein d'humour typically british.

Réalisée en lien avec l'album The Wicked + The Divine T1
Lieu de l'interview : Comic Con Paris

interview menée
par
5 novembre 2016

La traduction de cette interview a été réalisée par Alain Delaplace.

Retrouvez également notre première interview de Kieron Gillen en cliquant ici !

Pouvez-vous présenter et nous dire comment vous avez, chacun, débuté dans l'industrie du comics ?
Jamie McKelvie : Je m'appelle Jamie McKelvie et j'ai débuté assez tard, dans les comics. J'en lisais, enfant, puis j'ai décroché quand j'avais 12 ou 13 ans. Je m'y suis remis par l'intermédiaire de ma petite amie, à la fac. J'ai alors lu Sandman et je me suis dit « Oh, je ne croyais pas qu'on pouvait faire un comics comme ça ! » Je me suis mis à en lire plus. Je vivais alors à Nottingham où on avait une boutique de comics, « Page 45 ». C'est une très, très bonne boutique, un peu à la française dans le sens où on y trouve de très nombreux genres différents et le propriétaire est du genre à te recommander ci ou ça suivant ce que tu aimes. Il m'a vraiment aidé à plonger dans les comics et c'est là que j'ai commencé à dessiner. Quelques années plus tard, en 2003, je crois, j'étais au festival comics de Bristol et j'avais sur moi quelques planches que j'avais réalisées, des trucs sur lesquels je bossais. J'y ai rencontré Kieron et, au bout d'à peine deux minutes, il m'a demandé si je voulais illustrer Phonogram.
The Wicked + The Divine Kieron Gillen : Et sa réponse a été « Non » [rires]
Jamie McKelvie : Et nous voilà, 13 ans plus tard... En réalité, on a sorti Phonogram qu'en 2007 -
Kieron Gillen : 2006.
Jamie McKelvie: 2006. Donc plein de choses sont survenues entretemps mais voilà, c'est la version abrégée. Puis, Phonogram m'a fait connaitre auprès de Marvel, j'ai bossé pour Marvel puis est arrivé The Wicked and the Divine...
Matt Wilson : Je m'appelle Matt Wilson. J'ai commencé par aller à l'école de cinéma avant de décider que j'y gâchais mes talents de dessinateur. J'ai alors opté pour un cursus consacré aux comics, ce qui était similaire au cinéma en termes de narration mais qui, cette fois, me permettait de dessiner. Après la fac, il se trouvait qu'il y avait un coloriste qui habitait dans la même ville, Lee Loughridge, et qui avait un studio de colorisation. C'était en fait le seul endroit de la ville où je voulais travailler. J'y suis donc allé avec mon portfolio. Il a commencé par me dire « Non, on n'a pas de place pour toi dans notre petit studio... Les collaborateurs n'en partent jamais. » [rires] Mais, finalement, deux semaines après, un de ses collaborateurs a quitté le studio, il s'agissait de Nick Dragotta, qui a fini par se faire un nom en tant qu'illustrateur. J'ai donc pris la place de Nick où j'ai colorisé pas mal de trucs. Je crois que mon premier job a été une couverture de Scooby-Doo ! Je scannais les planches et je faisais plein d'autres petites tâches sans intérêt. Mais j'ai gravi les échelons pour devenir coloriste à part entière. Puis, un jour, un de nos amis communs – Ivan Brandon – m'a présenté Jamie...
Jamie McKelvie : Je cherchais alors un coloriste car celui qui avait travaillé sur le premier numéro de Suburban Glamour, ma première série personnelle, ne pouvait pas assurer sur le deuxième numéro et je cherchais donc un remplaçant. J'ai fini par te recommander à mon éditeur parce que tu cherchais à avoir ton nom sur une série.
Matt Wilson : Au studio, je gagnais ma vie mais je n'étais pas reconnu. On ne voyait mon nom nulle part. Donc, le jour, je gagnais de l'argent en colorisant des comics et, à côté de ça, je n'avais pas réellement besoin d'être payé mais je voulais avoir mon nom sur la couverture du comics de Jamie. On s'est donc connus comme ça puis vous avez eu un jour besoin de faire coloriser le deuxième volume de Phonogram et on a donc continué à travailler ensemble. C'est à cette époque que pas mal de créateurs comme Rick Remender sont entrés chez Marvel et je me suis trouvé là au bon moment pour les y suivre...
Jamie McKelvie : Et aujourd'hui, c'est le coloriste le plus demandé de l'industrie [rires]
Kieron Gillen : Moi, je n'ai rien à ajouter parce que mon histoire est en gros incluse dans celle de Jamie !

Kieron Gillen Jamie McKelvie Matt Wilson The Wicked + The Divine


Vous travaillez tous les trois depuis pas mal de temps maintenant. Vivre à deux n'est pas toujours très simple, comment faites-vous à trois ? (mode humour "on")
Kieron Gillen : La polygamie au sein d'une relation basée sur les comics. [rires] C'est compliqué, non ? Je veux dire, c'est pas si terrible que ça.
Jamie McKelvie: On travaille ensemble depuis treize ans, même si Matt ne nous a rejoints qu'en 2008, soit huit ans. Ce n'est pas rien, vu la longueur des scripts de Kieron [rires] Mais on a un langage commun que l'on comprend tous, au sein de notre collaboration et il y a plein de choses que l'on comprend aussi de manière tacite. Par exemple, je n'ai pas à communiquer de longues notes explicatives à Matt sur la colorisation parce qu'il sait ce qu'il fait et lui, il sait comment faire pour sublimer ce que je fais.
Matt Wilson : Par exemple une émotion ou une idée que Kieron exprime au sein de son script.
Kieron Gillen : Je crois que le plus difficile, c'est de comprendre ce qu'on va faire ensemble non pas dans l'instant mais par la suite. Ce qui est délicat, c'est de parvenir à comprendre que où Matt souhaite emmener ses couleurs ou bien ce que Jamie aimerait illustrer et arriver à faire ce que les autres vont avoir envie de faire et ne pas rendre le boulot ennuyeux. Et je pense que c'est ce qui nous permet de préserver une certaine fraîcheur à ce qu'on fait.
Jamie McKelvie : C'est pour ça qu'on peut voir une évolution au niveau des illustrations et des couleurs, sur The Wicked + The Divine, entre le premier et le dernier numéro. On essaie en permanence d'évoluer à ce niveau-là. C'est tout particulièrement vrai quand on aborde un nouvel arc narratif: on se dit alors que c'est l'occasion idéale pour faire bouger un peu les choses.
Matt Wilson : On a connu une grosse évolution dans notre approche visuelle, entre Young Avengers et The Wicked + The Divine.

The Wicked + The Divine Matt, c'est vrai qu'on voit une grosse différence en termes de colorisation, entre Young Avengers etThe Wicked + The Divine. Comment approches-tu ton travail de colorisation, en général ?
Matt Wilson : L'histoire passe toujours en premier, c'est ce qu'il y a de plus important. On en parle toujours en premier lieu et soit Kieron m'a déjà communiqué le pitch, soit il m'a filé des notes sur ce qu'il souhaite communiquer et, à partir de ces notes ou de ce pitch... En général, j'y vais à l'instinct. Je n'aime pas dire ça parce que ça ne donne aucune information réellement utile sur ma manière de procéder [rires]
Jamie McKelvie : Ce sont les petites fées qui viennent t'aider [rires]
Matt Wilson : Exactement. Mais je vois cet instinct comme un mélange de mon expérience professionnelle et personnelle, de ce que j'aime faire en tant qu'artiste, etc. Tout ça se mélange et après un temps de réflexion sur une scène particulière, par exemple, tout d'un coup, je me la figure avec une teinte pourpre et, à partir de là, je vais articuler et travailler l'image. Parfois, je dois coloriser une fenêtre et je me dis que c'est l'occasion de faire quelque chose d'intéressant au niveau de l'éclairage. Dans The Wicked + The Divine, il y a les pouvoirs des différents dieux qui ont en quelque sorte imposé pas mal de choses sur le plan visuel. On a déjà bossé sur des comics de super-héros, j'ai déjà colorisé des super-héros, des scènes de baston, leurs pouvoirs et on a voulu faire quelque chose de différent, là. On a distillé l'ensemble, l'histoire, les personnages... Et puis on a fait l'effort supplémentaire consistant à rendre le tout différent de que qu'on avait déjà fait parce qu'il le fallait.
Kieron Gillen : C'est surtout dans le premier volume qu'on voit les idées de Matt. Quand les dieux utilisent leurs pouvoirs, la scène s'illumine et par là, j'entends vraiment ça dans le sens où les personnages sont sur une scène de spectacle qui s'éclaire. Ça donne une sorte d'effet dramatique.
Matt Wilson : Je me disais que si j'étais là, en train de voir un dieu utiliser ses pouvoirs, il y aurait cet effet dramatique. Même si ce n'était pas dans une situation intrinsèquement dramatique, j'étais sûr que si je devais rapporter les faits, dans ma tête, j'aurais eu tendance à dramatiser le tout. Ça a donné ce genre de détails, l'éclairage qui augmente, tout devenant plus intense...

Kieron Gillen Jamie McKelvie Matt Wilson The Wicked + The Divine


Phonogram n'est pas encore sorti en France. Que pouvez-vous nous en dire pour que l'on se rue dessus lorsque Glénat le sortira ?
Kieron Gillen : On est en train de coloriser le premier tome pour la première fois et c'est très intéressant à faire. Ça nous a amenés à avoir des conversations du genre « quelle est l'atmosphère de cette scène ? Doit on la faire entièrement en couleurs ou bien la laisser en noir et blanc ? » parce qu'on a choisi d'en laisser certaines en noir et blanc pour des raisons artistiques – les meilleures raisons qui soient – [rires]
Matt Wilson : Ce qui était intéressant, là, c'est que je ne travaillais pas à partir d'un script: le comics était déjà prêt, lettré, et je pouvais le lire en tant que tel. Au lieu de lire et d'essayer de comprendre ce que Kieron voulait, je pouvais lire la page déjà illustrée pour essayer d'en tirer le sous-texte. Mais j'ai peur d'avoir, du coup, raté certaines choses qui auraient peut-être plus explicite si j'avais eu le script en main.
Jamie McKelvie : Oui, Phonogram n'est pas le comics le plus simple à comprendre. [rires]
Kieron Gillen : Bon, allez, je vais te donner mon explication standard de Phonogram. Alors, Phonogram... La musique, c'est de la magie. Quand tu dis ça, tout le monde comprend. « Quel effet te fait cette chanson ? », peut-être que ça te rappelle des souvenirs douloureux, peut-être que ça change ta façon de t'habiller ou encore de penser, de manière définitive. C'est peut-être ce qui est le plus proche de la magie, dans la vie de tous les jours. Dans Phonogram, on applique cette idée de manière littérale. Quand je dis « magie », je n'entends pas ça dans le sens de Donjons et Dragons, Harry Potter ou WicDiv [NDLR: abréviation pour The Wicked + The Divine], mais plutôt dans le sens d'une métaphore désignant l'effet qu'a la musique sur les gens. L'exemple que j'emploie toujours The Wicked + The Divine c'est celui du volume deux, où un type entre dans un night-club, un morceau est joué et ce morceau lui rappelle une de ses ex ainsi qu'un ensemble de mauvais souvenirs liés à leur rupture, comme s'il était l'objet d'une malédiction liée à ce morceau. Bien entendu, tout cela n'est qu'une métaphore du fait qu'on a tous des mauvais souvenirs liés à un morceau de musique particulier. Voilà ce qu'on fait, avec Phonogram, on s'intéresse aux différents effets connus de la musique sur les gens et on regarde ça à travers un prisme fantaisiste. On parle des hauts, des bas et comment les gens se retrouvent transformés par la musique. On s'intéresse à des personnages obsédés par la musique, des phonomanciens, des gens obsédés par la musique. Certains les qualifieraient de « musicalistes » mais on parle bien de véritables accros et on raconte leurs histoires et comment ils utilisent la musique pour combler un vide qu'ils ont en eux. On a sorti trois tomes. Le premier s'intitule Rue Britannia et utilise la Brit-pop comme un moyen d'étudier l'histoire et de voir comment les deux sont liés. Le deuxième tome, The Singles Club, contient sept histoire liées entre elles un peu à la manière de Rashomon et se déroule autour d'un événement social consacré aux chavs [NDT les chavs sont une sorte de phénomène difficile à traduire en français. « Lascars », peut-être]. Enfin, le troisième volume, The Immaterial Girl, traite de l'identité, des clips vidéos... Ça parle d'une fille qui a vendu la moitié de sa personnalité en échange de pouvoirs il y a de ça 10 ans et qui doit aujourd'hui s'acquitter de sa dette. Ça parle beaucoup de « Take on Me », de A-Ha. [Silence] Je dirais que la différence principale entre Phonogram et WicDiv, c'est que WicDiv, c'est comme d'aller à un concert d'une semaine au stade de Wembley tandis que Phonogram ça se passe dans une cave avec de la pisse sur le sol, des graffitis horribles aux murs et le meilleur groupe pop du monde qui te hurle dessus. C'est le côté underground de la chose. Phonogram est pour les losers, WicDiv est pour les winners. [rires]

Question promo : pouvez-vous présenter The Wicked + The Divine à ceux qui ne connaissent pas encore la série ?
Kieron Gillen : Je m'y coller, là aussi ! En gros, il s'a gît de pop-stars qui sont des dieux et de dieux qui sont des pop-stars. Tous les 90 ans, douze dieux se trouvent réincarnés dans les corps de jeunes humains. Et ils sont adulés, haïs, ils jouent sur scène, accomplissent des miracles et, après deux ans, ils meurent. Voilà, c'est ça, l'histoire. On s'intéresse à la génération de dieux de 2014. Et la question, l'intrigue, c'est « À quoi bon être un artiste ? ». Qu'il s'agisse de deux, dix ou vingt ans, on a très peu de temps à passer sur cette planète. À quoi bon faire quoi que ce soit ? Donc on parle de l'intérêt d'être un artiste, pourquoi mettre toute sa vie là-dedans. En théorie, l'histoire, c'est ça. Et on suit une fille nommée Laura qui est une wannabe. Elle, elle est ok avec l'idée de ne vivre que deux ans. On va donc suivre Laura, la suivre dans ce monde et la voir chercher à obtenir ce qu'elle veut.

Kieron Gillen Jamie McKelvie Matt Wilson The Wicked + The Divine


L'histoire de The Wicked + The Divine mêle des éléments très différents comme la musique, des Dieux, la mort,... A t-il été facile d'accorder vos violons pour rendre la série si addictive ?
Jamie McKelvie : Oui. [rires] On conçoit nos histoires avec une fin. On sait où on va et... En gros, on est à mi-chemin. On devrait atteindre les huit tomes.
Kieron Gillen : Sans compter les numéros spéciaux donc probablement neuf, au total.

Kieron, si je te dis que WicDiv est peut être ton titre le plus personnel, qu'en penses-tu ?
Kieron Gillen : Euuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuh... [rires] Il s'est quasiment écoulé dix ans entre la conception de Phonogram et celle de WicDiv, 2003 et 2013, respectivement. Phonogram, c'est principalement moi, à vingt-huit ans, flippant à l'idée d'en avoir trente. C'est de ça dont ça parle, en fait. Wicdiv, c'est moi à trente-huit ans, flippant à l'idée d'être mort. J'en plaisante aujourd'hui mais mon père est décédé une semaine avant que l'idée de WicDiv ne m'arrive. J'étais là « Je vais avoir quarante ans, je vais devoir me confronter à ma propre mortalité » et c'est devenu « Pourquoi as-tu passé ta vie à faire ce que tu as fait ? ». WicDiv m'a permis de faire ça en suivant ces 12 ou 13 personnages, chacun représentant une facette différente de ma personne. Et, en gros, je prends ces personnages et j'y mets le feu. C'est moi, tentant de surmonter ma connerie. Et ça inclus aussi plein de choses que j'aime et aussi plein de choses que Jamie et Matt aiment. Tout ce que je suis, mes expériences, ma sexualité, tout est dedans et les personnages vont apprendre tout ce que j'ai appris. J'espère qu'après avoir lu ça, les gens se diront « Ok, je ne ferais plus telle ou telle erreur ». The Wicked + The DivineC'est aussi un peu mon éloge funèbre personnel et ce qui viendra après WicDiv sera très certainement très différent. Donc oui, on peut relever la musique, les jeux vidéos, ces trucs que j'ai fait et oui, c'est probablement ce que j'ai fait de plus personnel mais c'est dû au fait que j'y ai injecté tout ce que j'ai fait dans ma vie. J'ajouterai que Phonogram est aussi une oeuvre très personnel, d'une certaine manière, mais WicDiv, à terme, le sera à un tout autre niveau. Mon travail sur WicDiv est bien plus discipliné que sur Phonogram. WicDiv est une fiction de genre qui, parfois, manque d'exploser tellement j'y injecte de choses tandis que Phonogram est une fiction littéraire qui prétend seulement être une fiction de genre. Les gens voient en Phonogram une fiction de genre alors que, par exemple, si je me tiens comme ça avec mes cheveux dans ce sens, on pourrait croire que je suis une fiction de genre mais non, Phonogram n'a jamais été rien d'autre qu'une métaphore littéraire. J'espère que ce que je dis a du sens.

La musique a une grande importance dans WicDiv et certains personnages font écho à de véritables artistes comme David Bowie. Quels sont ceux qui ont pour vous marqué le plus l'histoire (au sens général) ?
Jamie McKelvie : Je dirais quelqu'un comme Bowie, bien évidemment. C'est une sacré question, il faut que j'y réfléchisse.
Kieron Gillen : Déjà, que veux-tu dire par marqué ? Il y a des divinités que les gens reconnaissent mais pas en tant qu'individus à part entière mais plutôt comme des archétypes. Par exemple, Baal est influencé par toutes sortes d'artistes, de Bo Diddley à Kanye. C'est une question d'un certain type de masculinité. On peut effectivement distinguer un certain archétype dans un des dieux mais aucun d'eux n'est une représentation d'un et un seul artiste. Lucifer est principalement influencé par le Thin White Duke de Bowie. Je dirais des grands noms comme Elvis. Mais le truc c'est que Bowie, on en reverra pas un autre, comme lui. Le monde qui a permis à Bowie de devenir Bowie n'est plus, aujourd'hui.
Jamie McKelvie : Il a mis quelque chose comme dix ans à cultiver son personnage et à l'incarner mais aujourd'hui, tu n'aurais pas ce luxe, ton label te collerait à la porte après ton premier album s'il se plantait. Mais c'est effectivement une sacrée question.
Kieron Gillen : Il faudrait par exemple définir qui a eu le plus gros impact sur le hip hop... Une mes descriptions préférées de Kraftwerk est « le seul groupe de blancs qui a donné plus en retour à la musique noire qu'ils ne lui ont pris ». Non, je ne sais pas. C'est très compliqué. Elvis a pris tant de choses au blues... Dans la deuxième scène de WicDiv, on a des types qui éjaculent sous l'influence du pouvoir de la pop et c'est en gros l'effet qu'a eu Elvis.

Kieron Gillen Jamie McKelvie Matt Wilson The Wicked + The Divine


Le numéro 23 de The Wicked + The Divine a un format un peu particulier puisqu'il se présente sous la forme d'un magazine branché, à la fois mode et people. D'où vous est venu cette idée ?
Jamie McKelvie : On a toujours voulu faire des trucs intéressants, avec ce comics, et faire ce qu'on n'avait encore jamais fait. Et parmi celles-ci... On adore Kevin Wada et il ne fait que des couvertures, pas de pages intérieures. Alors on s'est demandé comment faire pour réussir à lui faire faire un comic en entier et Kieron a eu cette idée... Tu veux le raconter ?
Kieron Gillen : Non, non, vas-y, j'ai déjà trop parlé.
Jamie McKelvie : Kieron s'est dit que si on réalisait le numéro à la manière d'un magazine prenant place dans l'univers de WicDiv, on pourrait faire en sorte que Kevin fasse les différentes illustrations à la manière d'un shooting photo. Et, comme ça, on pouvait avoir 20 super illustrations de Kevin montrant les dieux dans divers styles et accoutrements. C'est parti de là et puis on a réalisé qu'on pouvait vraiment s'éclater à le faire. Au début, Kieron allait s'en charger tout seul en incarnant un journaliste allant interviewer les dieux puis on s'est dit que ce serait encore plus fun d'aller chercher de vrais journalistes. Et ça s'est fini dans une salle de chat.
The Wicked + The Divine Kieron Gillen : Oui, je me suis rendu sur une salle de chat où j'ai prétendu être chacun des dieux, en live. On a utilisé la transcription des échanges, après ça. Et le résultat, ça a été des articles incroyablement authentiques. On a vraiment l'impression que ces dieux existent. Tu lis l'article sur Baal et tu te dis « ça a carrément pu se produire ».

« Et si les dragons existaient pour de vrai, en mangerais-tu ? » (question que Kieron posait lorsqu'il faisait des interviews quand il était journaliste de jeux vidéos)
Kieron Gillen: Si j'en mangerais ? [aux autres] C'est une question que j'avais l'habitude de poser à la fin de mes interviews...
Matt Wilson : Il y a un choix moral à faire ?
Kieron Gillen : Ouais, je sortais ça mais on me répondait généralement non.
Matt Wilson : Ils sont peut-être en voie de disparition ?
Kieron Gillen : Ils le seront une fois que je les aurais mangés ! [rires] J'aime bien me dire qu'avec un peu de chance, ils se sont en quelque sorte déjà passés au barbecue de manière interne, lentement. Ils sont peut-être délicieux du coup !
Jamie McKelvie : Ça me fait penser au Vol des Dragons, le dessin animé des années 80. Je crois que ça venait de la même boîte qui avait fait La dernière Licorne. Ça raconte l'histoire d'un type, un scientifique, qui joue à des jeux de rôles et qui, un jour, se retrouve transporté dans un monde de magie. Et, à un moment, il se retrouve à posséder l'esprit d'un dragon et il se demande « Mais comment est-ce que ça marche ? » Il analyse la situation de manière scientifique, le vol, les flammes, il réfléchit aux réactions chimiques. Il déduit que les dragons produisent des flammes grâce au charbon ou je ne sais plus quelle roche ils consomment. Et ça les remplit d'hélium, ce qui explique leur vol. Voilà, ça m'a fait penser à ça.
Kieron Gillen : Ok, mais est-ce que tu en mangerais ?
Jamie McKelvie : Non ! Ils sont conscients ! Ils parlent !
Matt Wilson : James Earl Jones joue le méchant !
Kieron Gillen : Ok, s'il n'ont pas d'âme, j'en mangerais.
Jamie McKelvie : Ok.
Kieron Gillen : Et s'ils en ont une, alors j'attendrai d'en trouver un déjà mort pour en taper un morceau !
Jamie McKelvie : Est-ce que tu mangerais une personne morte ?
Kieron Gillen : Non !
Jamie McKelvie : Alors pourquoi un dragon mort ?
Kieron Gillen : En fait, tu sais quoi ? Si j'étais à un repas et qu'on me servait quelqu'un, je pense que j'en mangerais !
Jamie McKelvie : Ça fait beaucoup de si !
Kieron Gillen : En gros si je trouvais quelqu'un de mort, je le ramènerais à mon appart' et je le cuirais [rires]

Kieron Gillen Jamie McKelvie Matt Wilson The Wicked + The Divine


Mais pourquoi faire la différence entre une vache et un dragon ?
Kieron Gillen : Les dragons ont une âme ! c'est ça, la différence. Bon, si tu es végétarien, les vaches aussi alors ne mangez pas de dragons, les végétariens. Mais peut-être que les dragons sont de sales cons, aussi !
Matt Wilson : Ou bien...
Kieron Gillen : Est-ce qu'on ne ferait pas mieux, quitte à manger quelqu'un, de manger un nazi plutôt que quelqu'un de sympa ? Imagine qu'on soit dans un avion, qu'on s'écrase et qu'il faille manger un survivant: on mange forcément le nazi !
Jamie McKelvie : Prenons un cas concret: je ne mange pas les pieuvres parce qu'elles sont intelligentes mais je mange des seiches parce que ce sont des saloperies !
Kieron Gillen : [rires]
Jamie McKelvie : Ça n'a aucun sens mais c'est ma règle.
Kieron Gillen : Tu devrais te contenter de cette question, pour l'interview. Directement, la seule question qui compte !

Si j'étais le génie de la lampe et que je pouvais t'offrir la possibilité de travailler avec l'auteur/artiste que tu souhaites, dans le registre que tu veux. Ce sera avec qui et sur quoi ?
Matt Wilson : N'importe qui sorti de Kieron. [rires]
Kieron Gillen : Voilà le seul et unique souhait de Jamie. En ce qui me concerne, j'aimerais travailler avec la première personne à avoir fait une illustration sur un mur, le premier homme des cavernes à avoir peint dans une grotte. Celui qui est à l'origine de tout. Mais si je devais choisir quelqu'un de contemporain...
Matt Wilson : Gimenez ?
The Wicked + The Divine Kieron Gillen : Gimenez ! C'est un de mes illustrateurs préférés ! J'adorerais travailler avec lui sur quelque chose d'énorme, de grandiose ! Il est absolument épatant.
Jamie McKelvie : J'aimerais travailler de nouveau avec Kelly Sue DeConnick. On a fait huit pages ensemble et j'aimerais qu'on en fasse plus. Mais sinon, oui, n'importe qui sorti de Kieron.
Matt Wilson : C'est pas facile pour moi de répondre parce que...
Jamie McKelvie : Ouais parce que tu as déjà travaillé avec tant de gens ! [rires]
Matt Wilson : J'aimerais travailler avec Brian K. Vaugh... Oh mais c'est déjà fait ! [rires]

Si tu pouvais visiter l'esprit d'un autre artiste pour en comprendre le génie, lui emprunter des techniques ou mieux le comprendre, qui choisirais-tu et pourquoi ?
Matt Wilson : Celle-là, je peux y répondre ! Tous les autres coloristes ! Je regarde ce qu'ils font et je me demande comment ils y arrivent, moi, je pourrais pas.
Jamie McKelvie : Hmmm. Jerome Opeña.
Kieron Gillen : Ouuuh, bon choix.
Jamie McKelvie : C'est magique, ce qu'il fait. Je ne comprends pas comment il fait. Chaque fois qu'il sort un truc, je me dis « Ok, c'est bon, j'arrête de dessiner, je serais jamais aussi bon. » Et toi ?
Kieron Gillen : Je dirais Alan Moore. J'arrête pas de chercher un nom en me disant « N'importe qui à part Alan Moore » parce que ça fait si cliché de répondre ça. Mais bon, voilà, c'est Alan Moore. J'utilise pas le terme « génie » à la légère, mais je pense qu'il comprend mieux les comics que quiconque aujourd'hui. Et même si je n'aime pas l'admettre, j'ai tendance à déconsidérer les auteurs qui disent ne pas aimer Alan Moore. Si on n'aime pas Alan Moore, on passe à côté de quelque chose, avec les comics. Alan Moore comprend les comics à un tout autre niveau. il y a un gouffre entre lui et les autres. Si, parmi les grands auteurs reconnus du XXe siècle on ne trouve qu'un seul auteur de comics – Alan Moore –, il y a une bonne raison à ça. Donc oui, Alan Moore. Ou Bill Watterson. Ce serait cool de bosser avec lui. « Allez hop, mec, sort du terrain de golf, au boulot ! »
Jamie McKelvie : Il l'a fait, son boulot. Je pense qu'il représente le happy end auquel on aspire tous. Il a fait son truc et pouf, terminé.

Merci les mecs ! Et merci à Fanny Blanchard pour l'organisation de cette rencontre.