L'art est sans conteste en mouvement perpétuel, digérant les inspirations provenant de divers horizons. Pour l'italien LRNZ, de son vrai nom Lorenzo Ceccotti, les influences sont multiples, allant du manga à la bande dessinée, en passant par l'animation ou même la peinture. Travaillant uniquement en numérique, l'artiste prouve son talent depuis plusieurs années en réalisant de nombreuses illustrations aux approches variées et toujours impressionnantes. Fruit d'un long labeur, il sort Golem, un ouvrage hybride dynamitant les codes du 9e art. Publié en France chez Glénat Comics, nous avons eu l'opportunité de rencontrer LRNZ qui a répondu avec une prolixité réjouissante.
interview Comics
LRNZ
La traduction de cette interview a été réalisée par Alain Delaplace.
Peux-tu te présenter et nous dire comment tu as commencé à travailler dans l'industrie des comics ?
LRNZ : Je m'appelle Lorenzo Ceccotti et je suis l'auteur de Golem, mon premier album publié en France, chez Glénat Comics. C'est la traduction de l'édition italienne que l'on doit à Bao Publishing. C'est aussi mon premier album publié en Italie. Ce n'est pas le premier comic sur lequel j'ai travaillé mais c'est en tous cas mon premier album en tant qu'auteur. J'ai été impliqué dans le collectif SUPERAMICI qui regroupait cinq illustrateurs de comics : moi-même, Ratigher – que tu connais peut-être, il a illustré Trame, publié par Atrabile, je crois –, Tuono Pettinato, Dr Pira, Maicol & Mirco. On a tous travaillé ensemble au sein de ce collectif pendant sept années avant de se séparer pour travailler sur divers projets. Avec eux, j'ai travaillé sur un magazine très, très underground : Hobby Comics. J'y ai publié plusieurs épisodes d'un long comics intitulé Astrogamma qui est depuis sorti sous la forme d'un album complet, en Italie. Je crois qu'il est d'ailleurs question de le traduire pour être publié en France. Donc, Golem est mon second comics mais c'est le premier à avoir été publié [rires].
Tu me perds, tu me perds, là [rires]
LRNZ : J'ai aussi récemment sorti un livre sur lequel j'ai travaillé avec un célèbre auteur japonais de romans, Haruki Murakami [NDLR: auteur de Tony Takitani, La Ballade de l'impossible ou encore Kafka sur le rivage, entre autres] sur un recueil de nouvelles illustrées intitulé The Strange Library. En ce moment, je travaille sur un comic, un one-shot entièrement peint en couleurs, et qui est publié par Bonelli, en Italie. C'est écrit par Roberto Recchioni, l'auteur de Les Orphelins. Monolith est sur le point d'être publié et aussi d'être adapté en film. L'album et le film devraient sortir en même temps, dans le courant de 2016. Je travaille en ce moment au design de la seconde partie des Orphelins...
Pas le spin-off, tu parles de la série principale ?
LRNZ : Oui, oui, la série principale. Ce second volume s'intitulera Ringo. Enfin, je peux déjà dire que vers la fin de cette année, je devrais publier mon second comic, en tant qu'auteur, Ghost machine, sous la forme d'une série entièrement colorisée en trois volumes, le premier sortant donc à la fin de l'année... Aussi, il y a quelques années de ça, j'ai pu travailler dans le domaine de l'animation – il s'agissait d'une animation traditionnelle durant une quarantaine de minutes, pour un documentaire intitulé Dark Side of the Sun – et j'ai toujours souhaité y revenir sans jamais en avoir eu l'occasion. Et, donc, en ce moment, je m'efforce de me rapprocher de producteurs pour tenter de réaliser une adaptation animée de Golem. Voilà, donc, où j'en suis.
Quelles ont été tes influences, artistiquement parlant ?
LRNZ : Il y en a eu beaucoup. J'ai eu la chance de grandir en Italie et ce à un moment très particulier où l'on avait les Humanoïdes Associés, avec Mœbius, Caza, Druillet... Corben, dans Métal Hurlant.... Au même moment, il y avait de superbes productions animées japonaises, à la télé, et des comics de super-héros en provenance des Etats-Unis. Tout ça pour dire que je suis une sorte de pot-pourri dans le sens où j'ai aimé chacune de ces choses. Donc, plutôt que de suivre une seule chose ou un seul artiste, j'ai plutôt cherché à m'approprier ce que j'appréciais dans chaque élément, d'y prendre ce dont j'avais besoin pour mes propres histoires. À la fin, ça revient à créer une sorte de monstre de Frankenstein, en prenant une main par-ci, un pied par-là... [rires] À bien y réfléchir, c'est un peu comme une sorte de Golem. Peut-être que ça fait sens, en termes de symboles. Bon, ok, restons sérieux. Tout ça revient à chercher à élaborer un langage propre, correspondant aux besoins de l'œuvre, en retirant le meilleur de chaque autre langage et ce aussi bien sur le plan du style graphique que de techniques narratives, de rythme... Je ne sais pas si j'ai réussi mais, en tous cas, je me suis efforcé d'y parvenir.
En quelques mots, comment décrirais-tu ton propre style ?
LRNZ : C'est un gros mix ! Ce que j'apprécie, dans le style... C'est une bonne question, en réalité. Le design et le style sont deux choses différentes. Dans le design, la forme se doit de coller au plus près à la fonctionnalité. Le style, lui, prend place avant qu'un quelconque besoin ait été exprimé, tu l'appliques sans discernement à tout ce que tu fais. Je n'aime pas le style, je me préoccupe du design. Au moment d'illustrer Golem, j'ai pris la décision de modifier ma technique de dessin afin de l'accorder à ce que je souhaitais communiquer. Si tu regardes bien, on peut y déceler 5 techniques différentes, chacune répondant à un besoin bien spécifique. Dans ce sens, on peut dire que j'ai une approche du dessin qui est très rationnelle. Il y a tout de même un peu d'amour et de passion, hein ? [rires] C'est important, pour délivrer le message.
Voici venir le moment de la question promotionnelle ! Pourrais-tu présenter Golem à nos lecteurs ?
LRNZ : Golem est une histoire structurée à la manière des contes traditionnels. C'est bien plus proche d'un conte que d'une histoire habituelle de science-fiction à l'intrigue dense comme on en trouve dans les comic-books modernes. C'est donc un récit simple mais très symbolique, très métaphorique. C'est une anticipation que je réalise en caricaturant le présent. Je grossis les traits de tout ce qui me marque dans notre présent pour écrire cette histoire. C'est une version plus stylisée de notre présent qui vise à souligner et amplifier ce que je souhaite communiquer aux lecteurs. Les comics, en tant que moyen de communication, ont près d'un siècle d'existence et je crois que les gens sont prêts à trouver plus plus d'informations au sein d'un comics que ce qu'ils y cherchent au départ. J'ai donc essayé de réaliser un comic qui paraît simple, en surface, mais qui recèle une très grande quantité d'information dans son dessin. Le dessin n'existe pas seulement sur un axe X et Y, en deux dimensions, j'y ai ajouté un axe Z, en profondeur, en profondeur de style, de design. Tout est fait pour que le comic livre un message important, contenu au sein de ses pages. Golem, en soi, est une histoire de SF bourrée d'action, en couleurs et avec plusieurs styles de dessin. On y retrouve un dessin très clair, très lumineux dans la lignée de la Nouvelle Ecole japonaise mais aussi une approche américano-française de la ligne claire à la Mœbius. On a aussi une approche entièrement réalisée au pinceaux, très concept-art, qui s'approche plus de mes racines occidentales. Quant à ce qu'on a essayé de faire avec ce comic... Tu sais, avant la photographie et le cinéma, la peinture était quelque chose que l'on s'efforçait de conserver avec le plus grand soin. On investissait généralement de grandes sommes d'argent pour obtenir un tableau à mettre au mur et il fallait donc que le tableau dure et divertisse le plus longtemps possible. Donc même les plus mauvais peintres du 18e étaient des artistes capables d'insuffler un maximum d'informations dans chacune de leurs œuvres. Ce que j'ai donc voulu faire, c'est réaliser un comic-book exploitant le fait qu'un livre, en soi, est un média très ancien – près de 500 ans, aujourd'hui – et, je ne sais pas si j'y suis parvenu, je voulais, avec Golem, faire un livre qui puisse être lu plusieurs fois de manière à ce que le lecteur aille à chaque fois y trouver de nouvelles informations, cachées au sein des illustrations. J'espère donc avoir réussi à donner une grande valeur à chacune de ses pages. Ça paraît peut-être un peu trop rationnel mais c'est comme ça : j'ai fait en sorte de mettre beaucoup de choses dans ce livre et je pense que rien que 10% de ce que j'y ai mis peuvent réussir à offrir une magnifique expérience de lecture. Mais je vais revenir à l'histoire en elle-même – pardon de m'être emballé sur d'autres éléments –, c'est l'histoire d'un jeune garçon nommé Steno qui a peur de ses propres rêves. Par conséquent, il ne veut plus rêver et il ne dort plus. Et Golem parle de Steno qui grandit, devient un homme et apprend à contrôler ses rêves et à ne plus en avoir peur. Il peut dorénavant rêver éveiller et utiliser ses rêves pour changer le monde. Mais ses rêves ne sont pas ce qu'ils paraissent être...
Tout d'abord, quand j'ai eu Golem en main, pour en faire la critique, j'y ai vite perçu un grand nombre d'influences et je me suis dit « Ouh, les éditeurs doivent en baver à le décrire, celui-là ! » En France, on a tendance à vouloir tout classer dans des cases bien spécifiques : manga, horreur... Idem aux Etats-Unis. Pourquoi être parti sur une histoire aussi inclassable ?
LRNZ : Pour une raison très spécifique. J'ai voulu décrire un monde globalisé. Quand les gens visitent Rome, ils disent « C'est drôle, ça ne ressemble pas à Rome ! » parce que tout le monde s'attend à l'image du Colisée, tout ça. Mais Rome est très globalisée, c'est une métropole très moderne. Même si c'est très anarchique, ça reste une grande ville moderne où l'on sait toujours où on se trouve. Et j'ai voulu développer un style de comics dont on puisse déterminer les origines. C'est un écran de fumée. Je ne veux pas que Golem soit perçu comme un manga, comme un comic-book, comme italien, du Bonnelli... Rien de tout ça. J'ai voulu livrer une idée très spécifique d'un langage global. Je ne suis pas le seul à le faire, bien sûr : si tu regardes la majeure partie des auteurs actuels, ils livrent tous un mix de langages différents. C'est ça, qui m'intéresse. Je ne veux pas produire quelque chose à destination des fans de comics uniquement, je veux produire quelque chose à l'intention de tous. Golem n'a donc pas de racines particulières : on y trouve de tout.
Une chose que j'ai vue sur internet est que l'auteur Jonathan Hickman tresse des louanges à Golem. Quelle a été la réaction des éditeurs français ?
LRNZ : Disons que, quand j'ai amené Golem à Bao Publishing, je ne pensais pas qu'ils le publieraient. Jamais. J'y suis allé comme ça, pour tenter le coup. Alors, quand je vois aujourd'hui l'accueil unanimement positif fait à Golem aussi bien par les critiques que par le lectorat, ma réaction est de dire « Ok, je ne sais pas comment c'est arrivé. Je l'ai fait et je suis très heureux de voir que ça plaît. » En tous cas, chaque fois que l'on a un retour positif au sujet de Golem, je le prends comme tel car je n'en attendais rien.
Je ne saurais dire pourquoi mais les premières scènes de Golem m'ont fait penser à Akira.
LRNZ : C'est drôle que tu dises ça parce qu'Otomo est probablement le plus européen des artistes japonais.
C'est un des héritiers de Mœbius.
LRNZ : Oui et Mœbius était lui-même l'héritier des artistes japonais, à son tour. C'est très cool puisque si tu regardes, en termes d'influences, Tezuka – qui est le roi des mangas – affectionnait les productions Disney et Fleischer. On peut les distinguer les uns des autres. Otomo est quelqu'un de très, très doué en dessin. Tu connais Shoei ? Le fils – le vrai – d'Otomo ? C'est une vraie bête, il est incroyablement doué. Un excellent illustrateur au style très différent de celui de son père.
Je regarderai !
LRNZ : Bref, ce que je voulais dire c'est que bien entendu, il y a des influences, comme partout. On ne peut pas ne pas être influencé. Je dirais même qu'en regardant aujourd'hui l'œuvre d'artistes comme Tezuka, Mœbius ou Otomo, il est difficile de déterminer s'ils ont été influencés par quelqu'un d'autre. Mais ils l'ont été. Mon opinion est que du moment que l'on affiche ses influences, qu'on ne les cache pas et qu'on est honnête vis-à-vis de ça, c'est toujours positif. Ça devient négatif quand ça vire au plagiat. Je dis ça mais si j'ai effectivement plagié quelqu'un, je m'en excuse, ce n'était pas fait exprès [rires] Ce que je veux dire c'est que l'essence même de l'art réside dans cette forme de contagion, comme c'est le cas entre l'occident et l'orient.
Si tu avais la possibilité de visiter le crâne d'une personne célèbre, passée ou présente, afin de comprendre son art, ses techniques ou simplement sa vision du monde, qui choisirais-tu et pourquoi ?
LRNZ : C'est une très bonne question et j'ai en tête les noms de personnes très différentes mais si je ne devais te donner qu'un seul nom, ce serait Windsor McKay. Bien sûr, j'adore sa technique, son sens dingue du dessin, son immédiateté et ses qualités classiques, mais ce que j'aimerais savoir en entrant dans sa tête, grâce à ce pouvoir magique, c'est ce que ça fait que d'être le tout premier. Quand personne d'autre n'a tracé quoi que ce soit avant soi. Il faut tout faire à partir de zéro. C'est la raison pour laquelle les illustrations de Windsor McKay sont plus connectées à l'art traditionnel que nos comics modernes ne le sont. Pourtant, ses illustrations marchent encore aujourd'hui, ce sont les comics les plus modernes jamais faits. Si tu regardes Little Nemo, il y a des planches qui ont l'air d'avoir été dessinées par Mœbius ou encore Otomo. Elles fonctionnent ! Le dessin est si honnête ! Il y a toujours une connexion avec les objets du monde réel. Le dessin de McKay n'est filtré par aucune culture visuelle, ça reste toujours au plus près de sa vision personnelle. Et ça, c'est quelque chose qui commence à manquer, dans les comics, en raison de la quantité de choses que l'on peut voir, entendre, assimiler... C'est bien qu'on ait parlé des influences car j'aimerais voir ce que ça fait d'être un artiste ne pouvant pas être influencé. Ça doit être bizarre.
Une dernière question : Traditionnellement, en France, on lit de la bande-dessinée franco-belge ou bien des comics en provenance des Etats-Unis mais très peu de fumetti. Est-ce que je me trompe quand je dis qu'il semble qu'en Italie, les artistes de comics ont eut, ces dernières années, une approche plus moderne que les autres du médium ? Golem ou Les Orphelins en sont des exemples.
LRNZ : Je pense que dans un pays donné, la culture, parfois ça passe et parfois non. Il y a des époques qui sont très enthousiasmantes et d'autres, non. L'Italie a récemment connu des bas, en termes de créativité, certes, mais il y a aussi eu de grands moments comme dans les années 70 et 80 ou des choses incroyablement modernes y ont vu le jour, comme RanXerox. Le top ! Super cool ! Tamburini... Tous ces gars... Hugo Pratt, Toppi...
Serpieri, pour d'autres raisons [rires]
LRNZ : Oui ! On a une longue tradition de grands artistes et pas seulement pour l'industrie du fumetti mais il faut garder à l'esprit que tout ça arrive par vagues. Ça monte, puis ça descend. En France, il y a une tradition d'ouverture aux autres cultures alors que l'Italie est nettement plus fermée. Ça reste ouvert, mais pas autant que la France. Pas autant ces dix dernières années, parce que quand on voit François Boucq ou encore les gens qui ont été influencés par les Humanoïdes associés – ou par Corben, Métal Hurlant ou les comics US –... Ce que je veux dire c'est qu'actuellement, on est dans une phase ascendante, avec une qualité qui s'améliore. Et quand on augmente la qualité, on augmente la prise de risque et on amène aussi de nouvelles choses. On ne peut pas toujours dire à l'avance ce qui va marcher mais, pour sûr, on apporte quelque chose de nouveau. Donc, comme tu l'as dit, c'est une très bonne époque, actuellement, pour les comics italiens. C'est aussi dû à un certain changement dans le marché, en ce moment. Les kiosques, en tant que points de vente pour les comics, ne sont pas mourants mais il évoluent et les librairies se renforcent de plus en plus. Aujourd'hui, si tu vas dans n'importe quelle librairie généraliste, le rayon comics y est très important et ce n'était pas le cas il y a encore deux ans. Il y a deux ans, c'était dingue ne serait-ce que de l'envisager. Il y a cinq ans, personne ne comptait sur les libraires pour vendre des comics. Or, c'est là où on va les acheter, maintenant. Je pense donc que tout ça fonctionne de concert : l'idée de repousser les limites, le fait que les libraires s'y soient mis. En librairie, on peut parcourir le comics avant de l'acheter pour décider si on aime les illustrations, ce qui est plus difficile à faire avec des kiosques. Le kiosque est réservé aux habitués qui achètent ce qu'ils ont l'habitude de lire tandis que les libraires permettent de faire un choix alternatif.
Merci beaucoup Lorenzo !