Pat Mills est une des légendes du comics anglais. Ce scénariste fut le premier rédacteur en chef de la revue 2000A.D.. Magazine totalement culte puisqu'il y créera durant des années des séries majeures comme Judge Dredd (avec John Wagner), Slaine, ABC Warriors ou encore Nemesis the warlock. Pat Mills s'est aussi s'associé à Olivier Ledroit pour scénariser les bandes dessinées Requiem chevalier vampire ou Sha. Avec un CV extrêmement complet, il restait une œuvre majeure à éditer dans son intégralité en France : La grande guerre de Charlie. La série se montre d'une (très) grande fidélité historique, à un point tel que certains spécialistes en ignoraient presque certains détails divulgués par Pat Mills. Le travail de recherche et de reconstitution visuelle de Joe Colquhoun impressionne encore, et ce plus de 30 ans après la parution originale de Charley's War (titre original de La grande guerre de Charlie). Juste, précis, touchant et éprouvant, rares sont les titres sur la Grande guerre à avoir autant fait mouche, pour ne pas dire aucun. Reconnue par ses pairs et auréolée de nombreux compliments venant d'auteurs comme de lecteurs, La grande guerre de Charlie est une série patrimoniale qui devrait être étudiée à l'école ! Son créateur, Pat Mills, n'hésite pas à venir défendre le récit de Charlie et l'a même fait à Angoulême où cette interview fut réalisée. Un entretien long et intéressant durant lequel le scénariste nous traita même de "gentlemen". Quelle classe, ce Pat...
interview Comics
Pat Mills
Réalisée en lien avec les albums La grande guerre de Charlie T6, La grande guerre de Charlie T1, Slaine T1, Requiem - chevalier vampire T10
L'interview que nous vous proposons est divulguée ici en version originale non doublée et non sous titrée (pour les anglophones) mais aussi dans une version plus longue entièrement retranscrite. Faites votre choix.
Bonjour Pat Mills, peux-tu te présenter ?
Pat Mills : Mon nom est Pat Mills et je suis l'auteur d'un certain nombre de séries britanniques telles que Marshall Law, Slaìne,... Et si je suis à Angoulême, c'est pour faire la promotion de La grande guerre de Charlie. C'est une série se déroulant durant la Première Guerre Mondiale que j'ai écrite il y a plusieurs années et qui me passionne toujours autant.
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Pat Mills : Je pense que la plupart des scénaristes sont influencés par d'autres scénaristes. Dans mon cas, j'ai toujours été très intéressé et très influencé par des artistes français, de la génération de Métal Hurlant. Quasiment tous les illustrateurs de Métal Hurlant ainsi que les auteurs. Excusez mon horrible prononciation mais... Jean Paul Dionnet ? Ok. [NDT: Jean Pierre Dionnet, en fait] Les Armées du Conquérant est un de mes préférés. Il est intéressant de noter qu'il y a un écart entre le style britannique et le style français. Mais moi, j'ai adoré Les Armées du Conquérant. Mais mes pairs, en Grande Bretagne, étaient là "Oh non, tu sais, on n'aime pas". Le personnage de Slaìne, par exemple, si on considère sa définition originelle, sa bible, j'avais alors dit au premier dessinateur "Je veux que ce soit comme Les Armées du Conquérant, je veux ce style" et tout le monde m'a dit "Non, non, pas dans ce style, c'est trop détaillé". Et c'est pour ça qu'il y a une différence entre les comics britanniques, américains et français. Et j'ai toujours préféré le style français : les décors, les détails, la fantasy/fantaisie... Tandis que le style britannique est plus éphémère, moins détaillé et moins beau. Mais avec un des comics que j'ai débuté, 2000A.D., j'ai changé ça. Mais un de mes modèles a dont été les comics français.
Comment as-tu imaginé La grande guerre de Charlie ?
Pat Mills : J'ai été inspiré par un film britannique, "Ah Dieu ! que la guerre est jolie", de Richard Attenborough. Et les vedettes de ce film : John Mills, Jack Hawkins,... Tous les acteurs connus du cinéma britannique figuraient dans ce film. Je l'ai vu adolescent et je l'ai revu de nombreuses fois. J'ai été tellement touché par ce film, j'ai même vu l'adaptation au théâtre. Et c'est ce qui m'a principalement inspiré pour écrire La grande guerre de Charlie. Le film français qui en serait le plus proche serait certainement les Sentiers de la Gloire. Ce n'est pas un film français mais ça traite de la France. Mais en film français, je dirais Joyeux Noël, qui est un film magnifique. ça a ressemble à une sorte d'opéra dingo dans les tranchées mais très documenté. Donc voilà ce qui a été une de mes raisons d'écrire La grande guerre de Charlie.
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Pat Mills : Oui, je l'ai écrit d'une manière naïve, quelque chose d'assez peu intelligent beaucoup de soldats de la Grande Guerre étaient de la chair à canon, le système usait et abusait d'eux. Et donc, la raison pour laquelle j'ai choisi ce type de personnage est que pour toute histoire, toute bande dessinée, il faut chercher une icône, il faut se demander quelle est l'image iconique. Dans les mythes celtes, dans les légendes, ça peut être, si c'est humoristique, Astérix ou si c'est de la fantasy, Slaìne. Pour la première guerre mondiale, l'icône serait un soldat tout à fait banal et qui s'engage alors qu'il n'a pas l'âge. Et je pense que cela s'appliquerait probablement à la France, aussi. Si on cherchait à définir un poilu, on finirait probablement avec un personnage similaire car de tels personnages sont tout de suite sympathiques. Ils ne sont pas brillants, pas très intelligents mais ils croient en leur patrie et cette patrie, en réalité et dans le cas de la Grande-Bretagne, les a trahis. C'était ça, le raisonnement. L'impact de la guerre est intéressant dans le cas de Charlie car il est très différent d'un soldat qui serait plus éduqué. Un tel soldat finirait peut -être par devenir poète, rédigeant les poèmes de la première guerre mondiale, devenant trop sensible. Mais quelqu'un de jeune et issu de la classe ouvrière a, lui, déjà été insensibilisé, il a déjà été brutalisé mais la plupart de ces jeunes avaient encore du cœur et de l'âme. Charlie a ça. J'ai aussi une théorie, qui est un peu obscure mais que je vais tenter de vous expliquer. J'ai lu les correspondances de ces soldats, les lettres qu'ils envoyaient chez eux et, quand je les ai lues, les larmes coulaient sur mon visage. Ces lettres décrivaient ce qui se passaient au front et ces jeunes n'avaient pas de formation universitaire, pas d'éducation mais leurs lettres étaient très émouvantes. Je ne me rappelle que d'une d'entre elles qui disaient quelque chose comme "Les choses vont mal, ici. On dirait qu'on va tous y passer mais ne laissez pas ça vous gâcher votre noël." ça me touche encore.
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Pat Mills : Oui, c'était l'alliance parfaite. La façon dont, de nos jours, les auteurs et les artistes travaillent conjointement est très sophistiquée. Auparavant, à l'époque où Joe et moi-même nous sommes rencontrés, c'était très peu sophistiqué. L'éditeur m'a dit "Voudrais-tu faire une histoire sur la première guerre mondiale? Personne ne l'a encore fait" et j'ai dit "Eh bien, j'aimerais tenter le coup". Je savais que cela allait être très difficile car cela se déroule dans les tranchées et... Je n'avais pas vu le travail de Tardi mais je ne pense pas qu'il existait, de toute manière, à l'époque. Je craignais donc que le décor limité rende cela ennuyeux. J'ai donc demandé à travailler avec un bon dessinateur et mon éditeur m'a dit "Je vais te confier le meilleur dessinateur du magazine" et il s'agissait de Joe Colquhoun qui avait auparavant dessiné Johnny Red, une série qui a eu un grand succès, c'était la série n°1. C'est dingue, ça revenait pour l'éditeur à prendre le meilleur dessinateur, qui travaillait sur la meilleure série et de dire "Ok, on t'enlève de là et on te met sur La grande guerre de Charlie". C'était une décision très courageuse. Je ne connais pas un seul éditeur, aujourd'hui, qui ferait ça. Je dis toujours qu'il aurait du avoir un Eisner Award pour ça. C'est un énorme pari et les lecteurs qui aiment une série et en voient partir le dessinateur, ils peuvent piquer une grosse colère. Si, je ne sais pas, Giraud avait quitté Blueberry pour aller sur, je ne sais pas, autre chose, et qu'un autre dessinateur se retrouve sur Blueberry... ça fait partie de ces choses qui déchaînent les passions! Et quand c'est sur sur un comics hebdomadaire, c'est encore pire car là, on n'a pas à attendre un an pour avoir la réaction du public, elle arrive après 6 semaines. Et les lecteurs, ils veulent t'en mettre une! Ils deviennent assez agressifs !
Les commentaires en bonus de chaque album participent énormément à la réussite de la série...
Pat Mills : Oui, il s'en passe encore tellement plus, en vérité. Je pense aussi que les commentaires sont intéressants car parfois on peut lire mes commentaires énervés car quelque chose de vraiment idiot prend place. Dans certains des derniers volumes où ils ont fait des changements stupides, il y a eu de la censure, des trucs du genre. L'autre est aussi très intéressant mais tu n'as pas du lire encore. C'était un vrai challenge; j'ai eu le frère de Charlie, qui est dans l'armée de l'air. ça m'a permis de couvrir l'aspect aérien du conflit. Mais le frère n'est pas pilote, ça aurait été trop glamour, il est mitrailleur, ce qui était un poste très risqué. ça, ça a très bien marché. A partir de là, je me suis dit
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Quels sont tes prochains projets ?
Pat Mills : Le prochain projet sur la guerre ? Je travaille en ce moment sur... Bon, ce que je trouve le plus pertinent, par rapport à La grande guerre de Charlie, est un nouveau projet, pour lequel on cherche encore une maison d'édition mais on a déjà beaucoup de dessins de prêts. C'est avec un dessinateur Britannique du nom de David Hitchcock, que tu connais peut-être, non ? Madam Samurai,... J'ai écrit deux histoires avec David
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Petite question concernant Requiem chevalier vampire, qui insuffles les références Métal à la série, c'est toi ?
Pat Mills : Non, c'est un peu des deux mais ce qui s'est passé c'est qu'Olivier [NDT : Ledroit, dessinateur de la série] crée ces personnages issus du monde du Métal et je pense que c'est dans un esprit de satire car je ne pense pas qu'il aime vraiment le métal, je ne sais pas, il faudrait que tu le lui demandes. Je regarde alors ces personnages et moi, j'aime vraiment d'autres styles de musique. Le métal est ok. Je parle alors avec des fans de métal et là, tu entres dans un autre monde mais c'est ce qui donne de l'authenticité. C'est pour ça que les lecteurs de Requiem se disent que ces parties concernant le métal sont correctes. Et ils sont pourtant très cruels car les fans de métal sont très passionnés. La dernière fois qu'on les a vus, ils s'en allaient tous. Black Sabbath a dit "Je vous envoie en mission, partez !" j'espère donc qu'Olivier ne va pas les ramener. Essayons d'avoir des musiciens de folk, pour la prochaine fois, hein ? (rires) Ou de la funk, peut être. Pas de rap, il faudrait alors que j'aille parler à des rappeurs.
Pat Mills : Je vais te donner la version interne de l'histoire. Je vais essayer d'être bref. J'ai toujours travaillé avec de super dessinateurs. Les gens me demandent toujours comment c'est possible et il y a un truc à ça. J'exclus toujours d'office les dessinateurs français qui sont brillants et plutôt sains d'esprit mais beaucoup de dessinateurs britanniques, je ne donnerai pas de nom, sont cinglés, ok ? Mon talent est celui d'un psychothérapeute. Je ne plaisante pas, je suis sérieux. Il y a quelques années, un éditeur de chez Marvel m'a préparé un lot de cartes de visite, ces cartes disaient "Pat Mills, thérapeute pour dessinateur, dispo 24h/24". Les auteurs sont névrosés mais les dessinateurs sont pires encore. Ils peuvent avoir des problèmes dans leurs vies et moi, je leur parle au téléphone, je leur dit "Oui, je comprends" et du fait de mes vertus "thérapeutiques", j'ai construit de très bonnes relations avec certains. Mais je ne dirais pas lesquels. Alors quand ils sont déprimés et disent "Oh, je ne peux pas dessiner ça" ou "C'est un problème", moi je leur dit "Écoute, tout va bien se passer". Donc quel que soient les problèmes dans leurs vies, et je vais rester vague quant à leurs natures, je vais leur dire "C'est bon, on va résoudre ce problème" ou un truc du genre. Alors que d'autres auteurs vont leur dire "Va te faire foutre !" (rires).
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Pat Mills : Non, tu as raison. Simon et moi nous nous disons toujours... On a fait une histoire de Slaìne et, en France vous avez du retard, sur Slaìne, il y a encore plein d'aventures de Slaìne que vous n'avez pas encore lues et l'une de celles-ci est vraiment superbe que vous tous adoreriez. Si seulement j'avais pu les amener mais tu sais ce que c'est ces bouquins pèsent des tonnes. L'album s'intitule "The Book of Scars" et c'est une collection des plus belles illustrations de Slaìne de ces 30 dernières années. C'était pour marquer le coup. On a tout repris, à partir des premiers dessinateurs de Slaìne qui ont chacun illustré une histoire. Mike McMahon, Glenn Fabry, Simon Bisley et Clint Langley. J'ai donc collaboré à une nouvelle histoire de Slaìne, avec Simon. C'était il y a quelque chose comme 6 mois. C'est maintenant disponible en album, ça s'appelle The Book of Scars et ça pèse une tonne. Dommage qu'il n'y en n'ai pas de copies disponibles ici. ça a été fun de faire cette histoire avec Simon car il a toujours ce grand sens de la comédie, il adore toujours Slaìne et il n'a pas arrêté de me dire "On devrait faire une nouvelle histoire, ensemble". On en a parlé et pour une raison ou une autre, ça ne se fait pas. Il y a une autre histoire... Tu sais ce que c'est, quand tu travailles sur un nouveau projet et que l'éditeur t'appelle pour te dire "N'en parles à personne, n'en parles à personne!" et tu te dis "Ok, je n'en parlerai à personne" mais quand après un an, le projet est mort, tu finis par te dire "Bon, ok, maintenant je peux en parler"? Je n'en suis pas encore là donc je crains de devoir rester encore assez vague. C'était au sujet d'un personnage prestigieux, vraiment très connu. Pas Sherlock Holmes mais quelqu'un du même niveau de renommée et j'avais alors dit qu'on le ferait avec Simon Bisley. Simon a fait de superbes artworks et tu sais quoi? Ce foutu éditeur n'était pas si impressionné que ça par le travail de Simon! Il ne voulait pas payer non plus! Crétin! Je ne peux pas être plus précis, pour le moment. Repose-moi la question dans 6 mois. Ce n'était pas Sherlock Holmes mais c'était un personnage similaire, en d'autres termes, un personnage que tu connais déjà. Il a fait des dessins fantastiques. A vrai dire, si tu en parlais à Simon, il s'en ficherait sûrement et te raconterait tout l'histoire et il a de superbes dessins.
Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre artiste pour en comprendre son génie, qui choisirais-tu et pourquoi ?
Pat Mills : Je dirais Bilal, j'adore les dessins de Bilal. C'est magnifique et ça a ce mysticisme est-européen, cette magie et il dessine de très jolies femmes. (rires) Pas toujours très politiquement correctes mais de très jolies femmes.
Merci Pat !
Remerciements à Laurent Lerner du Label Délirium, à Jean-Philippe Diservi pour la réalisation technique et à Alain Delaplace pour sa traduction.