Mangaka unique en son genre, Taiyô Matsumoto était invité du 46e Festival de la BD d’Angoulême où il s’est vu consacrer une rétrospective de ses œuvres présentant près de 200 planches et dessins originaux. Débutant sa carrière en 1988 avec des titres sportifs, il publie ensuite des récits plus originaux au début des années 90 avec notamment Le rêve de mon père, puis le titre qui le fera connaître en France, Amer Béton. Si ce dernier deviendra culte avec le temps, à ce moment-là le succès n’est pas au rendez-vous et son éditeur lui demande donc à nouveau de produire un manga de sport, plus populaire. Il réalisera ainsi les 5 tomes de Ping-pong, prenant encore une fois le contrepied des shônens sportifs de l’époque par le choix de cette discipline inhabituelle mais aussi par le traitement scénaristique qu’il lui applique, loin des canons du genre. Après cela, Matsumoto revient à son sujet de prédilection, l’enfance, et s’adonne également à des expérimentations graphiques, dans son trait et dans le format de ses œuvres. Naitront ainsi GOGO Monster, titre sans prépublication et donc non soumis au vote des lecteurs - chose extrêmement rare au Japon, puis Number 5, une série cristallisant l’influence de la claque vécue par l’auteur lorsqu’il découvre la BD européenne à l’occasion d’un voyage en France. Ensuite, dans Le samourai Bambou, il expérimente des graphismes proches des estampes traditionnelles japonaises et le dessin au pinceau, puis viendra Sunny, un récit inspiré de son histoire personnelle qui raconte la vie d’enfants dans un foyer d’accueil. Ces deux œuvres ne font que faire grandir sa renommée mondiale et sont maintes fois nommées et primées. Plus récemment, sa série Les chats du Louvre fut dessinée à la demande du musée (en 2 tomes noir et blanc, ressortis depuis dans une intégrale en couleurs), et enfin Eveil, récit court au format BD, sortait à l’occasion de la venue de l’auteur au 46e FIBD. Planète BD ne pouvait pas manquer de l’y rencontrer...
interview Manga
Taiyô Matsumoto
Qu'est-ce qui vous a donné envie d'être mangaka alors qu’à l’origine vous les trouviez ringards ?
Taiyô Matsumoto : Mon cousin a décidé très tôt de devenir mangaka (NDLR : Santa Inoue, qu’on connait en France pour Tokyo Tribe2), mais moi je me disais que cela ne permettait pas d'avoir du succès auprès des filles, donc cela ne m'intéressait pas trop. Un jour, j'ai découvert les œuvres de Katsuhiro Otomo : j'ai trouvé ça super classe et je me suis dit que ça pouvait plaire aux filles. C'est grâce à cette rencontre avec les œuvres d’Otomo que j'ai eu envie de devenir mangaka.
Détail d’un original de Taiyô Matsumoto présenté à l’exposition qui lui était consacrée lors du 46e FIBD. L’enfant tient dans ses mains le 1er volume d’Akira de Katsuhiro Otomo.
Taiyô Matsumoto : C'est vrai que j'aime le sport et j'aime le pratiquer. Cela a joué dans mon orientation. Mais c'est surtout parce que quand on est mangaka débutant, dessiner des mangas de sport c'est un raccourci pour commencer. C'est pour ça que j'ai fait beaucoup de mangas de ce type au début de ma carrière.
Pourquoi est-ce un raccourci ?
Taiyô Matsumoto : C'est plus facile d'avoir du succès avec des titres de sport. Comme il y a cette tendance, les éditeurs proposent souvent aux jeunes auteurs de dessiner des séries de ce type. Et comme les auteurs savent qu'ils ont plus de chances d'avoir du succès en faisant ce type de manga, ils acceptent. Cela permet aussi d'améliorer son dessin car il y a beaucoup d'action et c'est un exercice intéressant.
Détail d’une planche originale de GOGO Monster de Taiyô Matsumoto telle que présentée dans l’exposition qui lui était consacrée lors du 46e FIBD
Taiyô Matsumoto : Il y a le fait que les mangas de sport où un jeune se découvre puis évolue pour devenir un grand sportif, c'est une trame assez classique. Moi, je voulais faire quelque chose qui n'avait pas encore été fait. C'est pour ça que je me suis dirigé vers les sportifs âgés. Et puis, à la base, je n'étais pas très enthousiaste à l’idée de faire des mangas de sport, cela m'a donc renforcé dans cette idée de créer quelque chose de différent de ce qui se faisait à l’époque.
L'enfance est donc devenue ensuite un sujet récurrent que vous abordez de manière toujours particulière dans vos œuvres. Pourquoi ce choix ?
Taiyô Matsumoto : On me fait souvent remarquer le fait que je parle beaucoup de l'enfance. Je ne sais pas vraiment d'où cela vient, je n’y ai jamais vraiment réfléchi alors je ne saurais pas expliquer clairement pourquoi. Une chose est sûre, c’est que je me sens très heureux quand je dessine des enfants et c'est venu naturellement chez moi. Par contre, une chose importante pour moi, c’est que je n'aime pas les enfants dessinés avec l'intention de dessiner des enfants. C'est-à-dire des enfants vus à travers les yeux des adultes. Je trouve que dans mes œuvres les enfants sont représentés avec un regard d'enfant, à hauteur d'enfant, et je suis content d’avoir réussi à faire cela.
Planche originale du Rêve de mon père, présentée dans l’exposition consacrée à Taiyô Matsumoto lors du 46e FIBD
Taiyô Matsumoto : Je me suis basé sur des romans, et des films comme Over the top. Et juste au moment de l'écriture de ce manga, mon éditeur a eu un fils et j'ai donc pu observer comment cela se passait chez lui. C'est tout cela qui m'a servi d’inspiration pour faire mon histoire.
Parmi vos œuvres, il y en a une chez nous qui se démarque particulièrement, Number five, car elle a un graphisme et un format très proche de la bande dessinée européenne. Pourquoi ce changement de style ?
Taiyô Matsumoto : Il y a 22 ans, je suis venu pour la première fois à Angoulême. Cinq ans avant, j'avais découvert Bilal et Moebius, et je suis tombé amoureux de leurs BD et de l'art qu'est la bande dessinée. En venant à Angoulême, j’espérais pouvoir discuter avec eux. J’ai alors rencontré des auteurs de BD et je me suis rendu compte qu'ils avaient une façon de travailler totalement différente des mangakas. Ils ne sont pas poursuivis par le temps, ils ont des formats différents, une démarche différente, et cela m'a fasciné. J'ai eu envie de devenir auteur de bande dessinée et c'est sans doute cela qui apparaît dans la narration et dans le dessin de Number five. Au Japon, ce manga est d’ailleurs sorti dans un format plus grand pour s'approcher un peu de la bande dessinée.
Planche originale de Samourai Bambou de Taiyô Matsumoto telle que présentée dans l’exposition qui lui était consacrée lors du 46e FIBD
Taiyô Matsumoto : En parlant avec eux, je me suis rendu compte qu'il y avait une façon de se positionner par rapport aux lecteurs qui était différente du Japon. Avec le manga, il faut d'abord amuser le lecteur, et ce que souhaite l'auteur vient après. En bande dessinée, c'est ce que l'auteur veut faire qui est transmis aux lecteurs. C'est quelque chose de très intéressant que j'avais envie d'expérimenter. Leurs BD m'ont donc influencé, mais aussi cette attitude par rapport à l’œuvre et au public.
Number five est clairement influencée par Moebius, dont l’un des personnages est d’ailleurs le sosie. Quelles œuvres de ce dernier vous ont le plus marqué ?
Taiyô Matsumoto : Je n'ai pas pu lire beaucoup d'œuvres de Moebius. Par contre, j'ai particulièrement étudié l'Incal et Arzach. Ces deux œuvres m'ont beaucoup influencé, que ce soit graphiquement ou sur la façon particulière que Moebius avait d’utiliser l'espace et de mettre en scène.
Portrait de Moebius dans Number 5
Taiyô Matsumoto : Nicolas De Crécy ou David Prudhomme. Je serais curieux de voir le monde à travers leurs yeux, pour savoir comment ils font pour dessiner leurs œuvres et les coloriser aussi naturellement.
Merci !
Dessin inédit
Détail de la peinture originale utilisée pour la 1ère affiche de l’exposition Mastumoto au 46e FIBD. L’enfant est absorbé par la lecture de Black Jack d’Osamu Tezuka. Matsumoto a redessiné exactement la page du manga.
Détail de la peinture originale utilisée pour la 2e affiche de l’exposition Mastumoto au 46e FIBD. L’enfant est absorbé par la lecture de L’école emportée de Kazuo Umezu. Matsumoto a redessiné exactement la page du manga (vol.7 p46).
Merci aux éditions Kana, notamment à Stéphanie Nunez, à Yuki Takanami pour la traduction, et au festival d’Angoulême.
Merci à Laetitia de Germon pour la retranscription.
Toutes les illustrations de l'article sont tous droits réservés par leurs auteurs et éditeurs respectifs.
Le rêve de mon père / HANA OTOKO ©1998 Taiyou MATSUMOTO / SHOGAKUKAN
GOGO Monster ©2000 Taiyou MATSUMOTO / SHOGAKUKAN
NUMBER 5 ©2001 Taiyou MATSUMOTO / SHOGAKUKAN
Samourai Bambou / TAKEMITSU ZAMURAI ©2007 Taiyou MATSUMOTO, Issei EIFUKU / SHOGAKUKAN