On oublie souvent que Jean-Luc Istin a débuté dans la bande dessinée en tant que dessinateur. Il faut dire que très vite, il s'est penché sur la création de scénarios et aussi sur la gestion de collection pour les éditions Soleil avec un véritable succès. Acharné de travail, il conserve ses deux casquettes et s'offre régulièrement des pépites, comme la récente série Elfes. Alors que ses projets sont toujours aussi nombreux, nous avons eu la possibilité de croiser Jean-Luc et de revenir sur une infime partie de sa carrière. Il faut dire qu'en plus d'être très sympathique, il est aussi très bavard...
interview Bande dessinée
Jean-Luc Istin
Réalisée en lien avec les albums Elfes – cycle Les elfes bleus, T1, Le cinquième évangile T3
Bonjour Jean-Luc, peux-tu te présenter et nous dire comment tu en es venu à faire de la Bande dessinée ?
Jean-Luc Istin : Ça fait 15 ans que je réponds à cette question… On passe à la suivante ?
Non.
JLI : Ok… Je suis scénariste, dessinateur et directeur de collection (Soleil Celtic, 1800, Soleil Ésotérique…) en majeure partie pour les éditions Soleil. Comme beaucoup d’auteurs, ce sont mes lectures qui m’ont donné envie de faire de la BD et ce, très vite après avoir découvert les comics. A l’époque, le cinéma était encore loin d’offrir toutes les possibilités inhérentes à la BD. Désormais, bien sûr, tout cela a changé. Il reste que la BD est le média le plus intéressant à mon sens pour s’épanouir lorsqu’on écrit et dessine, ce qui est mon cas.
Quelles sont tes influences ?
JLI : En tant que scénariste, je dirai, Frank Miller depuis Ronin, Tarantino depuis Pulp Fiction, Stephen King et Frank Herbert depuis toujours. En n’oubliant pas mes cinéastes préférés : Dario Argento, Sam Raimi, David Lynch et Roman Polanski. Dernièrement, je suis très sensible à certaines séries TV : les Dexter, les Luther m’imprègnent beaucoup. En tant que dessinateur, John Byrne (pour mes débuts), Régis Loisel (qui m’a aidé à arrondir mon dessin et à me lâcher) et plus récemment François Boucq pour certains encrages. J’apprends beaucoup en travaillant avec des talents différents. Dernièrement, j’ai étudié de très près le style de Thimothée Montaigne.
Certains ont oublié mais tu as commencé ta carrière comme dessinateur. Pourquoi n’illustres-tu plus ? Manque d'envie ? De temps ?
JLI : Plus précisément, je n’ai pas commencé comme dessinateur, j’ai commencé en tant que scénariste et dessinateur. Pourquoi je n’illustre plus ? J’ai plusieurs réponses à cette question. Vous voulez laquelle ? Je varie selon l’inspiration du moment. Hier, je disais : « Je préfère écrire un roman ! ». Aujourd’hui, je dis : « Je n’en ai pas envie. Tout simplement. ». De toute façon, je croule sous le travail et si je veux le faire avec attention, il faut que je me ménage. » Demain, je dirai : « Je pense qu’en fait, j’attends qu’on me sollicite. Un grand scénariste, un beau sujet et je dis oui ! Mais pas pour une longue série. » En parallèle, je pense qu’il me reste beaucoup de travail pour atteindre le niveau requis par la BD d’aujourd’hui. Ça m’effraie un peu mais c’est aussi très excitant.
Tu nous confiais que tu n'arrivais pas à écrire un scénario pour que tu l'illustres, mais pourquoi ne pas demander à un autre auteur de te l'écrire ?
JLI : C’est ce que j’ai fait pour les Brumes d’Asceltis. Cette BD est née de ma rencontre avec Nicolas Jarry, alors romancier chez Mnemos. J’ai craqué pour son style. Si cela m’arrive à nouveau, je me lance.
Ensuite, tu es très vite devenu scénariste à part entière mais aussi directeur de collection chez Soleil. Comment s'est faite la bascule ? Comment es-tu passé du dessin à l'écriture ? Comment t'es-tu retrouvé à gérer des collections ?
JLI : Je ne suis pas passé du dessin à l’écriture. J’ai travaillé les deux en parallèle. Mon premier contrat associait le scénariste et le dessinateur. Mais au bout de 34 pages, mon éditeur de l’époque m’a lâché. L’album, un space-opéra, n’a jamais été publié (j’ai des pages, si tu veux…). Concernant, mon travail de directeur, je ne fais pas que gérer des collections, je les crée. C’est finalement une simple extension de mon travail de créateur, mais à un autre niveau. Et à ceci près, que je me retrouve à négocier des contrats, à vérifier le travail, à participer à des réunions commerciales etc. Cet aspect des choses est beaucoup moins glamour.
Ton premier gros succès a été la série Merlin que tu as écrite. Comment as-tu eu l'idée ?
JLI : A l’époque de la création des éditions Nuclea, je cherchais des auteurs pour développer un nouveau catalogue de BD et je suis tombé sur Eric Lambert avec qui j’ai sympathisé. Je voulais lui écrire un scénario à ceci près que nous n’avions pas forcément la bonne idée. Puis, à noël, passe un Merlin à la TV avec Sam Neill dans le rôle principal. Ce n’était pas une réussite mais ça nous a donné envie de faire un Merlin en BD. Ma première idée était de raconter la genèse du personnage, son initiation par le père Blaise et la déesse Ahès. Ce Merlin peut aussi se percevoir comme une dualité entre mon côté païen et mon éducation Chrétienne. Mes propres hésitations idéologiques apparaissent dans les 10 tomes. Avec comme victoire, une certaine idée de la tolérance.
Quel regard portes-tu sur Merlin aujourd'hui ? (sur les premiers albums)
JLI : Un brin de nostalgie. Cette série n’est pas parfaite, loin de là. C’est une œuvre de débutant. Mais elle a du cœur et je crois que c’est ce qui explique son succès. Quand je constate la façon dont la télé et le cinéma mutilent ce personnage pour en faire n’importe quoi et obtenir un rendu qui n’a pas d’âme, je me dis que nos 10 tomes ne sont pas si mauvais, finalement.
L'heroïc-fantasy est le genre pour lequel tu as le plus écrit. S'agit-il de ton registre favori ? As-tu des références particulières ou des ouvrages indispensables à tes yeux dans ce genre ?
JLI : C’est une erreur que beaucoup font. J’ai très peu écrit d’heroïc-fantasy. Il y a effectivement la série Le seigneur d’ombre, et Elfes, mais le reste n’est pas à proprement parler de l’heroïc-fantasy. D’ailleurs, beaucoup d’intervenants font cette erreur car on se retrouve avec Les druides rangés en fantasy chez bon nombre de libraires (du net comme ailleurs). Alors que les druides sont un thriller historico-fantastique (à caser donc dans « Thriller »). Le cinquième évangile est un thriller ésotérique. Le sang du dragon et Hannibal Meriadec sont de l’aventure pirate fantastique. Merlin, Lancelot et Excalibur chroniques du légendaire fantastique. On ne peut pas à proprement parler d’heroïc-fantasy pour un album qui se passe au Vème siècle de notre ère. Templier, ça se déroule au XIIème siècle en Terre Sainte, c’est une aventure ésotérique. Quant à L’ordre des dragons, Nirvana, Aleph et Tom Sawyer… Bref, je n’ai quasiment pas écrit d’heroïc-fantasy. Et je n’ai pas de référence en cette matière car je n’ai quasiment rien lu dans ce domaine. Si ce n’est tardivement, avec David Gemmel et son Légende dont je suis fan et Druide d’Olivier Péru, que j’adore ! Je suis plutôt un lecteur d’œuvres fantastiques, de thrillers et de SF. C’est là que je puise mon inspiration. J’aime Stephen King, Philip K.Dick et Herbert Liebermann.
A la même époque que Merlin, tu as aussi écrit Aleph. Cette série plus courte présentait un univers très différent et mélangeant de nombreux genres. Comment t'est venue l'idée et comment es-tu parvenu à faire cohabiter tous ces registres ?
JLI : Aleph est une histoire que j’ai écrite et re-écrite en pensant comme K.Dick. Une histoire c’est bien, mais si tu fonds deux histoires en une seule, tu obtiens quelque chose de nouveau. Bon à vrai, dire, dans Aleph, on a bien trois histoires qui se chevauchent et s’entremêlent et c’est ce qui rend le concept intéressant. Vous dire d’où me vient l’idée d’Aleph, c’est très compliqué. Je suis parti de l’idée de création de toute vie, de l’obsession d’éternité et de ce qu’elle implique chez un être immortel. On voit des vampires dans maints romans traverser les âges et rester aussi idiots et crétins qu’au premier jour de leur mutation en démon. Je me dis qu’un personnage même très mauvais, s’il est immortel, finira par se lasser de son mauvais rôle et pourrait être intéressé par la lumière. Le héros Georges Bessermann s’appelle ainsi car j’ai croisé Georges Bess dans ma vie, qui m’a donné de nombreux conseils et dont je suis un admirateur. Mais je lui ai donné le ton désabusé et pince-sans-rire d’un Georges C Scott tel qu’on le perçoit dans L’exorciste la suite.
Tu te bases beaucoup sur les légendes et les contes, sont-ils une source inépuisable d'inspiration pour toi ?
JLI : Les seules légendes que je développe en tant qu’auteur sont les légendes Arthurienne que j’étends jusqu’à la légende de la ville d’Ys. Finalement, c’est très limité et loin d’être une source inépuisable d’inspiration. Mais je prends beaucoup de plaisir à utiliser les personnages de ces légendes bretonnes. Quant aux contes, Les contes de l’ankou est mon travail le plus significatif dans ce domaine. J’y ai mis beaucoup de choses personnelles. La quête du père, la brisure d’une jeune femme qui pense ne pas avoir su plaire à son père et le désarroi de ce père lorsqu’il se rend compte, presque trop tard, qu’il est passé à côté de sa fille. Ces trois albums pénètrent au cœur du réservoir des contes bretons et sont reliés par mon obsession de la mort et ce qu’elle implique en non-dits et regrets, en solitude...
Après Merlin, tu as créé Les Druides. Comment fais-tu pour te renouveler dans chacune de tes séries fantastiques ?
JLI : Les druides est très différent de Merlin. Les druides proposent une enquête au Vème siècle sur les meurtres très spécifiques de moines copistes. On découvre leurs corps décapités, un pieu planté dans le torse. Sur ce pieu, des Oghams, l’écriture des Druides. Ces derniers sont alors au centre de toutes les accusations. Mais le moine Gwénolé souhaite que l’enquête soit menée par un Druide, Gwenc’hlan réputé pour sa droiture et sa capacité à résoudre bien des mystères. Nous ne sommes pas dans une légende mais dans un thriller qui utilise des personnages historiques et les lie à des personnages de légende (que certains affirment comme historiques). Cet ouvrage est très documenté et Thierry Jigourel est le garant de la documentation. Bien entendu, pour des raisons artistiques, nous avons faits des entorses à la réalité de l’époque. Par exemple, les chevaux type gaulois sont remplacés par des chevaux type allemand, pour donner plus de présence aux personnages mystérieux de notre BD.
Dernièrement, tu as sorti Elfes. Peux-tu nous parler du concept de la série et de ton premier album ?
JLI : Cinq duos d’auteurs (sans compter les coloristes) se sont regroupés pour développer cinq races d’elfes dans un univers de fantasy commun. Chaque album est une histoire complète (un one-shot) mais lié à un univers et une carte commune. Personnellement, je suis le scénariste du tome 1 basé sur la race des Elfes bleus. On y retrouve mon amour pour le thriller et le polar puisque le point de départ de cet album est une enquête sur le massacre mystérieux d’un groupe d’Elfes bleus d’une cité portuaire. Parallèlement, on suit l’itinéraire initiatique d’une jeune Elfe bleue dénommée Vaalann. Au final, les deux histoires se relient dans un dénouement épique et lourd de révélations. Je me suis beaucoup amusé à développer cette histoire.
Comment as-tu rencontré Kyko Duarte ?
JLI : Grace à Thomas Mosdi qui était son scénariste sur Chroniques de la guerre des fées chez Soleil Celtic. J’adorais son travail, c’est donc ainsi que je lui ai proposé de travailler sur les elfes bleus. Avec son style semi réaliste, presque réaliste, il rentrait exactement dans le cadre que j’avais défini. C’était Elfes ou Merlin le prophète. Ce fut Elfes.
Avec Stéphane Créty, tu as exploré la thématique des pirates avec Hannibal Meriadec et Le sang du dragon. Comment as-tu rencontré Stéphane ?
JLI : C’est Sylvain Cordurié qui nous a mariés. ;) Ce dernier m’a proposé de lui faire faire des Contes du korrigan. Ça a commencé ainsi. Puis, je ne sais plus comment, il s’est retrouvé sur Hannibal Meriadec et les larmes d’Odin et quand Guy Michel m’a annoncé qu’il ne pouvait pas dessiner Le sang du dragon parce qu’il faisait Surcouf, Stéphane semblait le choix le plus approprié. Stéphane Créty est quelqu’un d’absolument atypique et de furieusement attachant. Re-lisez cette dernière appréciation en regardant son dessin et vous verrez que son dessin est comme lui.
Pourquoi les pirates ?
JLI : Ce n’est pas mon choix mais celui de Guy Michel qui a souhaité que je lui écrive une histoire de pirate. Alors, pourquoi pas ? Et il a eu raison, le bougre, car je m’amuse comme un fou avec ces pirates ! Monsieur Thorn, Maclaw, Samuel, Mael, dame Elween sans oublier leur capitaine, j’ai nommé Hannibal Meriadec, sorcier et Pirate, ce sont mes meilleurs amis ! Je n’en connais pas de meilleur ! Et ils aiment le Whisky et le rhum ! Tout comme moi ! Quoi de mieux ?
Le sang du dragon est une série spectaculaire et qui est déjà composé de 6 albums. A quoi peut-on s'attendre par la suite ? En combien d'albums est-elle prévue ?
JLI : Une série spectaculaire ? Merci ! En fait, cette série a un défaut. Son titre. J’aurais souhaité finalement qu’elle s’appelle Hannibal Meriadec afin de développer ses aventures jusqu’à ce que j’ai un pied dans la tombe, parce que je ne peux pas me décider à en finir avec lui et son équipage. Je les aime. Dans le tome 7, la fin va vous étonner et propose un décor radicalement différent pour la suite des aventures d’Hannibal.
Tu as écrit dans un autre registre, celui de l'ésotérisme religieux avec Le cinquième évangile et Templier. Pourquoi ces thèmes ?
JLI : Je les développais déjà un peu dans Merlin. Mais je le fais plus « ouvertement » dans le Cinquième évangile. Le mystère religieux me fait pousser des ailes. Ça me prend à la gorge. C’est passionnant de développer des personnages plus ou moins intégristes ainsi que des humanistes et de les confronter à un mystère enfoui sous bien des meurtres, dans des abysses de l’âme humaine. Un mystère qui peut être vérité ou mensonge, qu’importe ! C’est ce qu’il provoque qui le rend intéressant.
Après les Contes de l'Ankou et du Korrigan, vers quel folklore te dirigerais-tu ?
JLI : Aucun. Je laisse cela à mes collègues.
Le cinquième évangile était dessiné par Thimothée Montaigne sur les deux premiers tomes. Ce dernier est parti illustré la nouvelle série du Troisième Testament. Une suite est-elle prévue ? Avec Thimothée ?
JLI : Cette chronique secrète de Guillaume de Tyr aura souffert d’un manque de périodicité et je m’en excuse. Je ne suis pas seule en cause, bien entendu, et il faut reconnaître que c’est très difficile de trouver un dessinateur après avoir travaillé avec Thimothée Montaigne. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard s’il reprend le Troisième testament. Thim est bon, très bon, c’est tout. Et ce qu’il développe avec Alexe Alice est d’un très haut niveau. Pour ce qui est du Cinquième évangile, en ce mois de mai 2013, sort le tome 3 avec un nouveau dessinateur, Roberto Viacava. Et pour le tome 4, ce sera à Benoit Dellac de s’y coller.
Tu t'es lancé dans un autre type d'univers avec Nirvana. Comment as-tu eu l'idée de revisiter la thématique des super héros ? Es-tu fan du genre ?
JLI : A la base, le projet Nirvana n’est pas un projet de super héros mais de SF. Une idée basée sur une drogue très particulière. Vous vous l’injectez puis votre corps se décompose, toutes les molécules se dispersent, c’est le « Big trip » et à la fin, votre corps se recompose. Je voyais trois histoires proposant une vision différente de la drogue. Tout d’abord, une enquête qui met en avant le côté illicite et la dangerosité de la drogue. Puis dans un tome 2, l’aspect curatif de la drogue mais aussi les mutations qui en découlent. Et enfin, dans le tome 3, la drogue comme arme militaire. A partir de là, j’ai imaginé un personnage qui enquête sur la disparition de sa femme. Le côté super-héros s’est ensuite imposé de lui-même. Et, oui ! Je suis fan du genre depuis ma plus tendre enfance. Ma première BD est un Batman. Et je suis de la génération Strange.
Quels sont tes comics phares ?
JLI : Les plus connus : Les épisodes des X-Men de John Byrne et Claremont et notamment Futur antérieur. The Dark Knight returns par Miller. Dernièrement, je craque pour les scénarios de Scott Snyder.
En combien d'albums est prévu Nirvana ?
JLI : En 2 tomes. Le tome 2 sort en juillet, il fait 60 pages. Je vais être très sincère. Le tome 1 s’est très peu vendu. Je n’ai jamais eu de retours aussi positifs des lecteurs, des professionnels et même ceux qui n’avaient pas trop aimé ont pris le temps pour se justifier. Bref, d’une certaine manière, pour moi, c’est un succès mais pas commercial et donc pas assez pour prolonger cette série. Le tome 2 est donc bien une fin et Guy Delcourt m’a permis de finir en beauté avec 60 pages au lieu de 46.
Est-ce qu'en tant qu'amateur de comics, tu t'interdis certains clichés propres au genre ?
JLI : De quel cliché parles-tu ?
Le côté manichéen, les héros en collant…
JLI : Je ne sais pas si je m’interdis quoi que ce soit. Inconsciemment, peut-être. Mais si le cliché se justifie, je ne vois pas de raison de l’écarter.
Quel super héros aurais-tu rêvé d'illustrer-raconter les aventures ?
JLI : Batman, Mystic, Moon knight… J’ai d’ailleurs un peu planché sur le sujet. Je sais précisément ce que je souhaiterais développer.
Parlons un peu de tes projets BD. En as-tu un en tant que dessinateur à annoncer ? Et ceux en tant que scénariste ?
JLI : En tant que dessinateur ? Non, personne ne m’a rien proposé. Et je ne me suis rien proposé à moi-même). Je peux passer une annonce ? « Dessinateur de 43 ans, travailleur, sérieux, ayant fait ses preuves, commercialement parlant, cherche éditeur consciencieux prêt à me proposer un magnifique scénario et disposer à en faire un best-seller. Mise en place à moins de 20 000, passez votre chemin. » Je plaisante, bien sûr… En tant que scénariste, oui, je travaille actuellement sur pas mal de sujets bien excitants. Je n’ai pas attendu Kirkman pour le dire : je suis fan de Zombies depuis mon adolescence, et même si je suis très en retard pour lancer des BD dans le genre, tant pis. Autant m’y coller maintenant. J’en ai signé deux, une chez soleil, Nécropolis (titre provisoire) et l’autre, La nuit des morts vivants chez 12bis. Parallèlement, je m’essaie au format Comics avec l’ami Kyko Duarte et nous préparons un 92 pages post-apocalyptique dénommé W.W.W. Mystic Lake pour début 2014. J’apprécie particulièrement de travailler dans ce format que je trouve très confortable. J’espère en faire d’autres à l’avenir.
Nous n'avons pas encore évoqué ta casquette de directeur de collection. Comment gères-tu au quotidien des différentes entités (les différents labels, ton métier de scénariste) ?
JLI : Difficilement mais avec toujours autant de plaisir. Je ne suis pas parfaitement organisé, du tout. Si je l’étais, ma vie deviendrait un cauchemar car ce métier est rempli d’inattendus qui viennent briser toute organisation. Donc, j’obéis aux urgences et je prends de l’avance lors des temps calmes. Il y a de moins en moins de temps calme ces temps-ci…
Comment se passe ton rôle de directeur de collection, es-tu directif avec tes auteurs ou tu leur donnes quelques indications évasives ?
JLI : Tout dépend des projets. Il y en a certains pour lesquels je n’interviens pas du tout. D’autres pour lesquels je suis constamment présent soit dans l’écriture, soit dans le dessin et la couleur, soit dans le tout.
Est-ce que tu confies parfois des projets à d'autres par manque de temps ?
JLI : Ce fut le cas maintes fois. Troie et Durandal sont de ceux-là. J’aurais pu les développer moi-même, mais j’ai préféré demander à Nicolas Jarry. Idem, pour Zombies. Et j’ai bien fait, car Nicolas Jarry et Olivier Péru sont de grands scénaristes qui mènent parfaitement leurs histoires. Je n’aurais pas pu faire mieux.
As-tu eu récemment des coups de cœur en BD ?
JLI : J’en ai régulièrement. Batman la cour des hiboux : j’adore ! L’enfance d’Allan m’a fait verser plusieurs larmes. Le tueur (le dernier) me passionne toujours autant.
Quel regard portes-tu sur le métier d'auteur de BD aujourd'hui ? Et sur celui d'éditeur ?
JLI : J’ai surtout le regard de ma propre expérience et de celle des auteurs qui m’entourent. Quand j’ai commencé dans la BD, il y a 15 ans, des gens du métier disaient déjà « Ça ne peut plus durer, on va avoir une crise ! » Maintenant, les mêmes disent « Bin on est en plein dedans… » « Les éditeurs sont des requins ! Les auteurs sont des victimes de ces requins et les libraires, heureusement, sont là pour écouter pleurer l’auteur malmené par son éditeur. » « Mon album n’a pas été mis en avant ! » A mon avis, beaucoup trop d’éléments négatifs jaillissent trop facilement. Alors que ce métier doit faire rêver beaucoup de personne, alors que nous vendons du rêve, le mal être prend le pas. Bon, mon souci c’est que je suis un auteur qui pleure et un salopard d’éditeur, en même temps. Je comprends tous les points de vue et je ne juge personne. Ceci dit, c’est un métier difficile, la BD. Personne n’osera dire le contraire. Il faut l’aimer, l’aimer pour aller jusqu’au bout et donner le meilleur de soi-même. Et quand vous avez fait cette démarche, le pire reste à venir… C’est une bataille. Une bataille pour rester le plus longtemps possible en avant, parce que si on ne vend pas, on disparaît, tout simplement. Et au-delà de l’histoire d’argent qui en découle, il y a aussi la simple idée qu’un auteur qui n’a pas de lecteur se retrouve seul avec son œuvre. Et une BD sans lecteur c’est comme un chanteur dans une salle vide, sans auditeur… Quelle misère ! C’est une bataille fratricide puisque l’auteur est en concurrence avec l’auteur sur un marché qui a de moins en moins de place pour l’accueillir. On se voit en festival, on trinque, on sourit et pourtant… J’ai eu un démarrage très difficile dans la BD. Mon premier contrat, comme je l’ai dit plus haut a été avorté. Mais on ne m’a pas prévenu tout de suite. J’ai attendu pendant trois mois les paiements de mes planches. Je les attends encore… Et je me suis retrouvé sans un sou, avec femme et enfant. Je vous passe les aspects Petite maison dans la prairie. De ce démarrage difficile, j’en ai tiré une capacité de travail hors norme, je m’en rends bien compte et j’en ai aussi tiré l’envie de protéger tant que je peux l’auteur qui travaille dur afin qu’il ne tombe pas dans les mêmes pièges que moi. Parallèlement, je distingue avec une grande lucidité le côté éphémère de ce métier. Je suis là aujourd’hui mais demain… qui sait ? Et ce n’est pas être pessimiste que dire cela, notre boulot dépend du lecteur. Sans lui, on ne peut pas en vivre. Certains auteurs vous diront qu’ils écrivent ou dessinent avant tout pour eux et qu’ils se fichent bien des autres. Ce n’est pas mon cas. Je fais ce métier pour partager, pour faire vibrer, pour séduire, sensibiliser, faire voyager, faire oublier le quotidien, apporter du plaisir… Le jour où personne ne lira plus ce que j’écris, ça ne m’intéressera plus de le faire. Je ferais alors des pâtisseries pour qu’on les mange et qu’on me dise qu’elles sont délicieuses, et si elles ne sont pas au goût de mes clients, je travaillerais dur pour qu’elles le deviennent. Je finirai en disant que quelques soient les tempêtes, quel beau métier tout de même !
Si tu avais le pouvoir de visiter le crâne d'un autre auteur de BD (comics/manga) afin d'en comprendre son génie, son art, lui voler des techniques... ce serait qui et pour quoi faire ?
JLI : Il va nous falloir un medium : Moebius !
Merci Jean-Luc !