C'est par le biais d'une candidature spontanée chez Image Comics que les frères Luna sont entrés dans l'univers des comics. Joshua et Jonathan ont su d'emblée se distinguer des autres artistes par des récits aussi différents qu'étonnants. Avec Ultra, nous suivions les errances amoureuses d'une super héroïne. Avec Girls, nous étions coincés sous un dôme dans lequel une femme nue se multipliait très vite et vous filait la pétoche. Dernièrement, nous avons pu découvrir The Sword, la dernière collaboration entre les deux frangins qui depuis se sont lancés dans des carrières solos. Joshua a longtemps été considéré comme le scénariste du tandem, ce qui se révèle fort réducteur puisqu'il effectue la mise en page, le crayonné et le lettrage. Alors qu'il vient d'achever la création de Whispers, une histoire en 6 épisodes publiée (uniquement pour l'instant) chez Image Comics, Joshua Luna a trouvé le temps de revenir sur une carrière jalonnée d'albums de qualité.
interview Comics
Joshua Luna
©Delcourt édition 2014
Réalisée en lien avec les albums The Sword T1, Marvel Icons - Hors série T6, Ultra, Girls T1
Bonjour Joshua Luna, peux-tu te présenter et nous raconter tes débuts dans l'industrie des comics ?
Joshua Luna : J'ai toujours adoré écrire et illustrer des histoires et ce depuis mon plus jeune âge. Concernant les comics, mon premier souvenir est l'image de ces comics rangés sur un étal pivotant, à l'époque où on pouvait encore les trouver dans la plupart des magasins. J'ai tout de suite été accro. J'ai
commencé par agrafer des feuilles de papier ensemble et à écrire et dessiner mes propres comic books. Au final, c'est devenu mon métier. J'ai majoré ma promo en art séquentiel à la fac, à l'université d'Arts et de Design de Savannah et, peu après avoir eu mon diplôme, j'ai soumis une candidature spontanée à Image Comics avec mon frère, Jonathan, et je n'ai pas cessé de travailler dans l'industrie comics depuis. Cela fait maintenant dix ans et j'ai l'impression de tout reprendre de zéro, maintenant que je commence une carrière en solo. Ce qui est super, c'est que je ressens toujours le même enthousiasme à écrire et illustrer des histoires qu'à l'époque où, enfant, je gribouillais sur des feuilles de papier.Quelles sont tes influences et références ?
Joshua Luna : Mes sources d'inspiration sont diverses et variées: films, séries télé, livres, comics, l'art, mes expériences personnelles, etc. Je pense que tout peut servir d'inspiration à une histoire.
Comment se passe la collaboration avec ton frère Jonathan sur vos différents titres (Ultra, Girls, The Sword, Spider-Woman)? Qui fait quoi ?
Joshua Luna : Les lecteurs nous posent souvent des questions concernant le processus de développement de titres des frères Luna. Une fois que j'ai écrit l'intrigue et que Jonathan approuve celle-ci - j'ai écrit les scripts de chaque numéro de chaque série à l'exception de Spider-Woman qui a été écrit par Brian Michael Bendis et Brian Reed - on passe à l'étape suivante où je fait la mise en page générale - encore une fois pour chaque numéro de chaque série. Jonathan va alors encrer et colorer la mise en page et enfin j'ajoute les bulles et le lettrage. Quand j'ai sorti ma première série solo, Whispers, beaucoup de gens ont été surpris par le fait que je sois capable de dessiner car personne ne savait que j'étais celui qui dessinais sur les séries des frères Luna. Si vous êtes curieux du processus, vous pouvez trouver des exemples de mise en page sur ma page Facebook et sur mon site internet.
Ta première création a été Ultra. Comment as-tu combiné les différents concepts (comme les relations humaines et les super-pouvoirs) ?
Joshua Luna : L'idée de départ avec Ultra était que ce soit une histoire autour de rencards amoureux, mais j'ai suggéré d'amplifier l'impact d'une histoire d'amour ordinaire en plaçant le tout dans un contexte extraordinaire. J'aimais beaucoup le concept consistant à explorer un monde où les super-héros dominent la culture populaire et mettent la barre très haut, idéalement parlant. Quand je lis des comics de super-héros, je suis plus intéressé par ce que font les super-héros en dehors des heures de bureau. En d'autres termes, comment sont leurs vies privées? C'est ce qui a débouché sur Ultra, une fille qui a tout, la beauté comme la force, des fans acharnés, des agents, des sponsors, la fortune... Mais qui semble incapable de trouver ce que tout quidam trouve le plus simplement du monde: l'amour.
Est-ce Ultra que tu as proposé en projet libre à Image Comics ?
Joshua Luna : Oui, c'est ça. Apparemment, la naïveté était de notre côté car si j'avais su que le nombre de candidatures spontanées finalement acceptées pouvait en réalité se compter sur les doigts d'une main, on aurait été découragés. Mais en 2004, on a vu les démarches à effectuer pour une telle candidature sur le site d'Image Comics et elles étaient assez simples. Heureusement, ça a payé ! Du fait de mon expérience, je souhaite encourager les aspirants auteurs à tenter le coup. On ne sait jamais ce qui pourrait se passer tant qu'on ne tente pas sa chance.
Que penses-tu d'Ultra, aujourd'hui ?
Joshua Luna : De toutes les créations des frères Luna passées, c'est la seule que j'aimerais encore revoir et sur laquelle je pourrais retravailler. J'aime les personnages de cet univers et parfois, il m'arrive de songer à toutes aventures et aux conflits qu'ils pourraient vivre si l'histoire se poursuivait aujourd'hui.
Ensuite, il y a eu Girls. Comment l'as-tu imaginée ?
Joshua Luna : J'ai toujours aimé les films d'horreur et je voulais créer un comics de zombies. Mais, à ce moment-là, le marché était saturé par ces derniers alors j'ai voulu attaquer l'histoire sous un angle différent, original. Je me suis inspiré d'un grand nombre de personnes existantes pour les personnages, afin notamment de m'aider à imaginer quelles seraient leurs réactions face aux événements intenses prenant place dans l'histoire. Que feraient les gens s'ils faisaient face à des hordes de belles jeunes filles nues souhaitant uniquement copuler avec les hommes et tuer les femmes? Girls était ma façon d'imaginer les diverses réactions face à un tel événement d'ordre surnaturel.
Quelles ont été tes influences sur Girls ?
Joshua Luna : Je me suis inspiré d'un film : Gremlins. Un garçon reçoit une mignonne petite créature velue mais on lui communique des règles très spécifique afin d'éviter que la créature ne génère une multitude de monstres vicieux. Je me suis dit "Et s'il s'agissait de femelles sortant d’œufs". A partir de là, le reste est sorti tout seul. C'était tellement ridicule mais je tenais à traiter l'histoire comme si elle était envisageable.
Est-ce difficile de créer une histoire comme Girls, comportant autant de nudité, et d'échapper à la censure ?
Joshua Luna : C'est une des choses que j'apprécie le plus avec Image. Ils encouragent le travail indépendant et on nous laisse donc une grande liberté pour explorer et exprimer nos idées. Bien qu'on ait été libre d'aller au bout de nos idées, on a quand même été assez prudes quand est venu le moment de dessiner les filles nues. On couvrait souvent les poitrines avec les cheveux longs et on évitait les plans de face au possible.
En France, le premier album de The Sword vient juste de paraître. Comment présenterais-tu cette série aux nouveaux lecteurs ?
Joshua Luna : Cette série suit les aventures d'une jeune fille tétraplégique ayant survécu au massacre de sa famille par un mystérieux trio doté de pouvoirs surnaturels. Elle découvre alors une épée lui permettant de marcher de nouveau tout en lui conférant des pouvoirs lui permettant de se lancer dans une sanglante vendetta. Brutal, choquant et haletant, The Sword est un périple mouvementé traitant de pouvoir et de vengeance.
Dans chaque album que tu as réalisé avec ton frère, tu explores un univers inédit et une atmosphère originale. Pourquoi ? Souhaites-tu explorer tous les types d'histoires possibles ?
Joshua Luna : Je ne peux pas me prononcer pour mon frère mais en ce qui me concerne, j'adore les histoires, tout simplement. J'aime en lire aussi bien qu'en créer dans un registre aussi étendu que possible: action, aventure, horreur, comédie, science-fiction, etc. J'ai aussi tendance à préférer les histoires dotées d'un début et d'un fin, cela me pousse toujours à donner le meilleur et à m'améliorer constamment.
The Sword est spectaculaire, riche en action. Quelles ont été tes références sur ce titre ?
Joshua Luna : Sans vouloir gâcher la surprise, je dirai que j'ai toujours été fasciné par l'histoire ancienne et les mythologies. Je trouve que le conflit entre l'ancien et le moderne génère un superbe socle à une histoire épique impliquant des dieux et des mortels.
Pourquoi avoir choisi une jeune handicapée comme héroïne ? C'est clairement très original et inattendu !
Joshua Luna : C'est l'histoire de battant ultime. Je savais que notre personnage principal devrait faire face à des êtres très puissants. Je savais aussi que l'épée conférerait au personnage des aptitudes au combat extraordinaires. L'idée fut alors de la faire partir d'une faiblesse afin que sa montée en puissance soit vraiment significative pour le lectorat.
Joshua Luna : C'est comme le premier volume, en plus humide.
Tu as aussi réalisé une histoire pour Marvel : Spider-Woman : Origins. Que penses-tu de cette expérience et de la collaboration avec Brian Michael Bendis ?
Joshua Luna : J'ai apprécié d'avoir l'opportunité de travailler avec Marvel ainsi qu'avec des gens comme Brian Reed et Brian Michael Bendis. En tant qu'auteur ayant majoritairement œuvré sur des titres indépendants, c'est génial de se voir ainsi gratifié par la communauté des comics mainstream.
Pourquoi ne fais-tu pas une autre histoire de super-héros ?
Joshua Luna : Autant j'aime bien les super-héros, autant je pense qu'il y a beaucoup d'autres genres à explorer et je suis enthousiaste à l'idée de visiter des univers complètement neufs dans lesquels il n'y a pas nécessairement de super-pouvoirs.
Récemment, tu as publié Whispers. C'est ton premier projet solo. Peux-tu nous le présenter ?
Joshua Luna : Whispers est l'histoire d'un homme présentant des troubles mentaux et qui se retrouve tout d'un coup avec le pouvoir de quitter son corps sous la forme d'un "fantôme" et de manipuler les pensées et les actions des autres. C'est un thriller surnaturel et sombre. L'histoire explore le concept du libre-arbitre ainsi que les besoins et obsessions que nous éprouvons et ne pouvons peut-être pas contrôler. ça commence d'une manière somme toute simple et presque normale mais l'histoire progresse dans une direction plus dérangeante. Beaucoup de lecteurs m'ont écrit pour me dire qu'aucun autre comic ne les avait marqués de cette manière. Je suis très heureux d'apprendre que l'histoire a eu l'effet escompté.
As-tu d'autres projets solo ou avec ton frère Jonathan ?
Joshua Luna : Je publie l'album relié de Whispers en juin et je travaille actuellement sur un autre projet solo mais il est encore trop tôt pour en parler bien que je sois super enthousiaste à l'idée. Je serai encore au dessin et à l'écriture comme avec Whispers alors il se passera peut-être encore du temps avant que ça ne se fasse mais le public peut s'attendre à ce que l'histoire vaille le coup d'attendre.
Connais-tu des comics ou des artistes français ? Si oui, qu'en penses-tu ?
Joshua Luna : J'adore les comic-books français! Je crois que les auteurs sont espagnols mais un de mes titres préférés est Blacksad. Les dessins sont si expressifs, créatifs et magnifiques. Récemment, j'ai aimé Le tueur. J'oublie beaucoup de noms, j'en suis sûr, mais je suis aussi un fan de Mœbius et de Claire Wendling.
Si tu pouvais écrire une histoire ayant pour sujet principal un super-héros (un sur lequel tu n'as jamais travaillé), lequel choisirais-tu ?
Joshua Luna : Là, tout de suite, je ne sais pas. Mais si l'histoire est bonne, ça m'intéressera de la raconter, quoi qu'il arrive.
As-tu un comic book préféré ?
Joshua Luna : J'aime tellement ce média qu'il m'est difficile d'en choisir un en particulier. En plus, je passe tellement de temps à créer des comics que je trouve difficilement le temps d'en lire !
Une question qui est particulière notre site. C'est une question bizarre. Si tu avais la possibilité de rencontrer l'esprit d'un auteur afin de pouvoir comprendre son art, ses techniques, qui choisirais-tu et pourquoi ?
Joshua Luna : Si je pouvais recevoir la visite d'un esprit, quel qu'il soit, j'aimerai alors juste savoir à quoi ressemble l'au-delà !
Merci Joshua !
Remerciements supplémentaires à Alain Delaplace pour sa traduction aiguisée comme une lame...
