Clairement, les ambiances très cinématographique de Chéri-bibi en ont surpris plus d’un. Pour essayer de percer les recettes de cette superbe trilogie « à grand spectacle », les bédiens ont interviewé l’un des auteurs, Pascal Bertho. Pourquoi avoir choisi d’adapter le roman de Gaston Leroux (également téléfilm dans les années 70), quelle techniques ont été utilisées… Le scénariste nous a livré ses secrets.
interview Bande dessinée
Pascal Bertho
Bonjour Pascal Bertho ! Pour faire connaissance est-ce que tu peux brièvement te présenter ?
Pascal Bertho : Bonjour, je m’appelle Pascal Bertho, je suis scénariste, j’ai commencé avec Marc-Antoine Boidin sur Kerioth chez Vents d’ouest, en 2001, donc il n’y a pas si longtemps que ça. Marc Antoine vient de l’école de BD d’Angoulême, il a fait pas mal de choses avant ça, notamment du dessin animé, en tant story-boarder. Moi je viens aussi du dessin animé mais plutôt côté scénario. Avant, j’ai eu une autre vie où je faisais du Fanzina. J’ai vraiment commencé sérieusement la BD avec Kerioth. J’ai aussi dessiné un peu, du temps où je faisais du fanzina, mais j’ai un peu oublié depuis, même si ça me travaille de temps en temps. Mais on verra ça plus tard, quand j’apprendrai à dessiner.
Tu t’y mettras un jour ?
Pascal Bertho : Sans doute : il y a des histoires qui sont proches de moi, des chroniques que j’aimerais bien dessiner. Ce n’est pas encore très précis dans ma tête mais c’est une envie qui commence à revenir. En fait, l’envie de raconter des histoires me vient de l’envie de les dessiner, au départ. Je me suis vite rendu compte que je n’avais pas un niveau suffisant pour faire les choses dont j’avais envie. Par exemple Chéri-bibi, c’est quelque chose que je serais incapable de faire parce que je n’ai ni le niveau, ni la technique, ni l’expérience.
On sent une réelle progression entre Kerioth et aujourd’hui Chéri-bibi...
Pascal Bertho : Je vais un peu parler au nom de Marc-Antoine… Kerioth, c’était notre première série : on a appris notre métier sur cette série. Aujourd’hui je la regarde avec tendresse car je sais ce qu’on a appris, c’est vraiment une série fondatrice. Marc-Antoine travaillait avec un dessin proche du dessin animé, très formaté et on a décidé tous les 2, à la fois sur le scénario et sur le dessin, de proposer quelque chose de plus personnel. Comme Marc-Antoine aime bien travailler sur Photoshop®, il voulait trouver une technique qui lui permette à la fois d’être souple et libre dans son dessin, et à la fois qui permette d’avoir des ambiances. Sur Chéri-bibi, on a travaillé essentiellement par ambiances. On a imaginé les scènes et les couleurs, avant de faire les croquis. C’est vraiment une réflexion sur notre travail à tous les deux en même temps que l’exécution d’une BD.
Est-ce que justement ces ambiances très marquées, n’accorde pas à la série un carcan très « photoshopisé » ?
Pascal Bertho : Les ambiances rouge et verte sont faites exprès, on nous en parle souvent. C’est une envie de radicaliser notre travail, d’aller jusqu’au bout de certaines choses. C’est vrai qu’il y a des scènes entièrement rouges ! Je ne sais pas si le côté Photoshop® prend le dessus sur l’ambiance, je ne pense pas. Ce n’est pas comme si on appliquait des effets à un dessin déjà existant. Marc-Antoine travaille ses crayonnés à des formats presque de la taille de la planche, puis il les scanne. Ensuite on choisit les angles précis, les couleurs, on retravaille le tout. Les cases que l’on voit dans les planches ne sont pas dessinées pareilles. Par exemple, page 44, le personnage est entier mais on ne voulait dessiner qu’un seul œil. C’est vraiment l’expérience du dessin animé qui nous a fait travailler comme ça. J’ai fait le scénario, puis on a fait le Story Board entièrement, puis j’ai retravaillé les dialogues et après on se voyait pour délimiter les ambiances.
Impressionnant ! Vous n’aviez pas envie de faire un cahier spécial pour expliquer toute cette technique ?
Pascal Bertho : Je ne sais pas si c’est intéressant d’expliquer la démarche. Ça peut être intéressant pour certains, par exemple les collectionneurs… D’ailleurs Marc-Antoine a déjà vendu des crayonnés de planches !…
Pour terminer sur la partie graphique, la restitution des blancs est vraiment saisissante !
Pascal Bertho : On avait un peu peur et à l’impression on a été très agréablement surpris. On voit les planches à l’écran donc avec la lumière, c’est forcément plus lumineux et on avait peur que ça baisse à l’impression. L’équipe graphique a fait un boulot vraiment extra. Ça n’était pas facile car c’est un mélange entre une technique manuelle (on voit les traits de crayons) et les effets complexes comme les flous. En fait, il n’y a eu aucun encrage. Marc-Antoine a cherché et il a trouvé sa propre technique qu’il est en train de faire évoluer. Dans le second tome, je suis encore plus impressionné par son travail.
Combien de tomes sont-ils prévus ?
Pascal Bertho : Il y aura 3 tomes au total.
Et alors, pourquoi avoir choisi d’adapter en bande dessinée l’œuvre de Gaston Leroux ?
Pascal Bertho : C’est des souvenirs d’enfance : j’avais vu la série dans les années 70. C’est un personnage que j’ai vraiment adoré avec mes yeux d’enfant de 10 ans. Ça parle d’aventure, d’amitié, de gros sentiments. J’ai relu les bouquins après et ça m’a paru encore plus intéressant avec mes yeux d’adulte. Ce sont des histoires d’amour impossible, ça m’a beaucoup touché. Quand j’en ai parlé à Marc-Antoine, il n’avait jamais entendu parlé de Chéri-Bibi. Il devait être trop petit pour la série. Je lui ai fait lire les bouquins et il est tombé amoureux du personnage.
Il y a encore des ayant-droits sur cette œuvre ?
Pascal Bertho : Oui on donne des droits. C’est assez compliqué, c’est passé de 50 à 70 ans mais on ne sait pas s’il faut inclure les années de guerre… Donc on donne un petit pourcentage de nos droits d’auteur (si on en a un jour). Mais ça s’est très bien passé avec les ayant droits, ils ont beaucoup aimé l’adaptation. Il y a même une arrière-petite fille de Gaston Leroux qui habite à paris et qui nous a invités à manger de la morue à l’Espagnole !
Vous avez d’autres projets ensemble, après Chéri-bibi ?
Pascal Bertho : On commence à parler un peu de l’après Chéri-bibi. Mais il faut déjà le finir : il y a encore 1 tome et demi. Notre projet suivant se passera sûrement en Antarctique. Marc-Antoine a besoin de « vide ». Ce n’est pas encore sûr mais on devrait s’intéresser à l’expédition Shackleton. Marc-Antoine veut se coltiner des décors vides pour asseoir des ambiances particulières et cette expédition est vraiment une histoire liée à tous les personnages. C’est une expédition en antarctique, qui perd son bateau, qui va dériver pendant 1 an et demi, une histoire d’amitié… mais rien n’est encore fait.
A part ça ?
Pascal Bertho : Il y a Aëla chez Dupuis qui continue : le tome 2 doit sortir début 2007. Je participe aussi à la future collection « 7 » de Delcourt qui est l’adaptation des 7 mercenaires. C’est une idée très intéressante : les scénaristes de chez Delcourt ont proposé 7 histoires autour du thème des 7 mercenaires et donc moi je participe à ce projet avec Tim, un dessinateur australien que je n’ai pas encore vu. On ne correspond que par mail et par l’intermédiaire de David Chauvel, qui s’occupe de la collection.
On va donc parler d’Aëla ? Comment présenterais-tu la série ?
Pascal Bertho : C’est une série style « saga », très Dupuis. Ça se passe dans l’univers des vikings même si ce n’est pas historiquement juste. Ce que je trouvais intéressant, c’était de mettre une femme dans cet univers. C’était une envie que Stéphane Duval avait déjà abordé avec Pierre Dubois (NDLR : le scénariste de Red Caps, chez Delcourt). C’est un univers qui lui correspondait bien mais c’est vraiment une autre optique que Chéri-bibi, pour moi, en tant que scénariste. Il y a pas de nombre d’albums prédéfinis… il y a un travail de feuilleton.
Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu aimerais faire découvrir aux terriens ?
Pascal Bertho : Je ne vais pas être très original : dans ce qui m’a touché ces derniers temps, il y a Pascal Rabaté avec Les petits ruisseaux. Il a trouvé un style de dessin, je n’ai jamais vu un travail aussi complet que ça. C'est-à-dire que dans l’histoire il ne se passe pas grand-chose, mais ont se pique au jeu d’incroyable manière. Les personnages sont époustouflants de simplicité et de vérité. Il a réussit à trouver le biais le plus adéquat pour son histoire.
Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d'un autre auteur de BD, chez qui aurais-tu élu domicile ?
Pascal Bertho : Je serais assez tenté de répondre encore Pascal Rabaté. Mais j’adorerais aussi être Mazan. J’adore son dessin et j’aimerais beaucoup avoir son talent.
Merci Pascal !