L'ero-guro est un genre très à part du manga. Ces récits mélangent divers éléments morbides, sexuels et violents pour un résultat aussi glauque que grotesque. Suehiro Maruo est assurément le mangaka le plus connu dans ce registre. Celui qui souhaitait réaliser des bandes dessinées jeunesse est devenu une véritable icône du genre. La légende entourant le japonais disait de lui qu'il était asocial et vivait en parfait ermite. Quelle surprise donc de le voir débarquer en France à l'occasion du festival d'Angoulême...
interview Manga
Suehiro Maruo
Bonjour Suehiro Maruo, peux-tu te présenter ?
Suehiro Maruo : A la base, on me présente comme un mangaka et cela me fait plaisir d'être présenté ainsi. En parallèle, j'ai une carrière d'illustrateur. Les deux me sont très précieuses mais il est vrai que je préfère que l'on me présente comme auteur de mangas.
Comment es-tu devenu mangaka ?
Suehiro Maruo : Avant de le devenir, je suis passé par plusieurs métiers. A chaque fois, cela ne marchait pas et je me suis rendu compte que je n'étais pas fait pour tel ou tel métier. Je me suis fait licencier à plusieurs reprises et, à la fin, je me suis rendu compte que je n'avais pas d'autres choix que de travailler dans le manga.
Pourquoi as-tu choisi le registre de l'ero-guro ?
Suehiro Maruo : Concernant l'ero-guro, je n'ai pas eu trop le choix. A la base, je me destinais à une carrière d'auteur de mangas pour enfants mais j'ai été contraint d'abandonner car les éditeurs ne m'ont pas accepté. Je me suis tourné vers le genre ero-guro presque par dépit mais on ne m'a jamais forcé. J'avais un intérêt personnel pour l'ero-guro. J'aime surtout le non-sens et l'absurdité, ce sont les choses qui me plaisent dans ce genre. Le fait qu'il n'y ait aucune question de justice, que ce soit du grand n'importe quoi, c'est tout ça qui me plaît dans l'ero-guro.
Où vas-tu dénicher toutes tes idées ?
Suehiro Maruo : C'est quelque chose qui vient à moi de manière très naturelle, par rapport à mes lectures ou aux films que je regarde. Il n'y a pas de démarche spéciale, c'est très naturel. Je ne pourrais pas faire par exemple une série comme Dragon Ball, je n'aurais pas les idées pour.
Donc, tu ne feras jamais de Dragon Ball en version ero-guro ?
Suehiro Maruo : Cela pourrait être possible, on ne sait jamais ! (rires)
Y a t-il des artistes qui t'influencent au quotidien ?
Suehiro Maruo : Pour le cinéma, il y a des réalisateurs comme David Lynch, Luis Bunuel, ou Tod Browning. Dans la peinture, je dirais des artistes comme Max Ernst et Jean Baltus.
Ton dessin est toujours très fin et souligne les contrastes de l'horreur. Est-ce une démarche particulière ?
Suehiro Maruo : Effectivement, c'est un parti pris de ma part pour exprimer des choses grotesques. C'est mieux de les faire avec un trait fin.
Il y a dans ton œuvre une grande symbolique autour des yeux percés. Qu'est-ce que tu veux exprimer à travers cela ?
Suehiro Maruo : En fait, pour vous dire la vérité, il n'y a aucun sens derrière tout ça. Le fait de répéter cette démarche provoque chez le lecteur un questionnement et c'est ça que je cherche. Il n'y a rien derrière mais j'essaie toujours de provoquer le lecteur.
Suehiro Maruo : Personnellement, je ne me pose pas de limites particulières. J'essaie toujours d'avoir la liberté d'aller jusqu'où je veux aller. Par contre, c'est vrai que dans ce que j'exprime, celui qui subit la violence que je mets en scène, en fonction de la nature de celui qui subit, cela change le sens de ce que le lecteur va appréhender par rapport à l'histoire. Par exemple, je vais rarement mettre en scène un handicapé qui subirait des violences alors que par contre dans un film de Bunuel, il y a un groupe d'enfants qui s'en prend à un aveugle. Ce genre d'images m'a influencé.
Au Japon, il y a une véritable législation autour de la représentation du sexe. Comment gères-tu cela ?
Suehiro Maruo : Il est vrai que cela est très différent au Japon. Il est interdit de dessiner des sexes, du coup tant qu'on n'enfreint pas cette règle là, on peut aller très loin. En évitant de dessiner le sexe, j'évite de tomber sous le coup de la censure.
On a souvent lu que dans ta jeunesse, tu as vécu dans la rue et que tu étais cleptomane. Est-ce que ces aspects de ta vie t'ont poussé à dénoncer la société au travers de tes œuvres ?
Suehiro Maruo : Non, il n'y a pas de volonté de ma part de dénoncer la société. J'étais clairement dans mon tort !
Que penses-tu de l'accueil qui est fait à ton travail en dehors du Japon ?
Suehiro Maruo : Je reçois au Japon des lettres de fans et cela m'arrive moins de lecteurs étrangers. Par contre, je recevais des lettres de Trevor Brown [un artiste londonien] qui me disait apprécier mon travail. Depuis, il est venu au Japon et y vit.
Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un auteur pour en comprendre son génie, qui irais-tu visiter et pour faire quoi ?
Suehiro Maruo : Je ne choisirais aucun auteur car cela n'aurait pas trop de sens. Je considère que d'avoir l'énergie physique pour un auteur est le plus important. J'aurais beau avoir les idées d'Akira Toriyama, je ne serais pas capable de les dessiner pour autant.
Merci Suehiro Maruo !
Remerciements à Miyako Slocombe pour sa traduction spontanée et impeccable, à Nicolas pour l'élaboration conjointe des questions et à Jean-Philippe pour sa maîtrise technique !